Naviguer dans les forums
Trackers Ankama

[Animation] Récits d'Invention #11 : Vous avez la maladie d'amour...
Par Toko-Rakle#8358 - ABONNÉ - 15 Février 2022 - 18:12:07
Amakna est une contrée où tout est possible, il y a donc peu de choses qui seraient susceptibles de vous surprendre. Et pourtant…
L’auberge d’Amakna est une étape agréable et incontournable lorsque l’on voyage dans la région, aussi, votre chemin vous y aura éventuellement mené. En opposition totale avec la morsure du froid de flovor, les différentes salles sont chaleureuses, vivantes, rythmées par la musique, la bonne nourriture, les clameurs des piliers de comptoirs et autres aventuriers de passage.
Ici et là, le mobilier de bois massif se voit orné de petits fanions roses pour ravir les amoureux et s’accorder avec la déferlante de Bouftous atteints de la malédiction du bien connu Ballotin. L’humeur générale est festive mais un élément sortant de l’ordinaire vient immédiatement capter votre regard.
Un disciple d’Osamodas aux allures d’érudit, ses habits poussiéreux et marqués de différentes teintes de terre, se tient debout, agitant ses bras dans un discours actif à l’adresse de son compagnon de tablée : un Craqueleur.
Ce dernier met au supplice la banquette sur laquelle il est assis, et il ne vous faut pas être un expert en expressions faciales rocheuses pour comprendre que la créature est dans la tourmente de la tristesse, les yeux dans le vague et maugréant des craquements à son interlocuteur en guise de réponse.
Cet étrange tableau attire la curiosité de bien du monde, si bien qu’un petit comité se fait spectateur de cet étonnant spectacle. C’est alors que l’Osamodas soupire, semblant jeter l’éponge face à un énième craquement du Craqueleur, et remarque l’auditoire qui s’est formé autour de lui.
- Oh ! Par la frange d’un Craquebille, je ne vous avais pas vus. Pardonnez ce boucan… mon ami a le moral dans les graviers, dit-il, gêné d’avoir attiré autant l’attention.
Il lança un coup d’oeil au colosse de roc, puis se rapprocha des badauds, leur parlant sur le ton de la confidence :
- Je suis Léo Gogie, spécialiste en habitats et comportements des Craqueleurs, et voici mon ami de pierre, j’aime bien l’appeler Lithoboule. Je me promène un peu partout dans le Monde des Douze avec lui pour voir comment évolue sa structure selon les habitats mais… nous avons eu un imprévu.
Il se rapproche davantage de la petite foule, et continue sur le ton de la confidence :
- Notre dernière destination était l’île d’Otomaï, et mon ami y est tombé éperdument amoureux d’un Craqueleur Poli… Mais malgré mes conseils pour l’approcher, il n’a pas osé faire le premier pas et nous avons fini par repartir sans qu’il n’aille lui adresser le moindre craquement. Voyez-vous, Lithoboule est un grand timide, malgré son apparence de grand dur. Il est persuadé qu’ils sont bien trop différents et qu’un Craqueleur Poli ne peut rien lui trouver d’intéressant, lui qui est si anguleux.
Après un regard compatissant à l’adresse de son ami, il se retourne vers ses interlocuteurs, l’air suppliant.
- Cela me fend le palpitant de le voir dans cet état là, et j’ai vraiment peur que son cœur de pierre ne se fende s’il continue de se tourmenter. Nous retournons à Otomaï très prochainement, mais je n’arrive pas à le convaincre que son histoire d’amour est possible. J’ai pourtant fait le tour de tous les classiques du Monde des Douze dans le domaine ! Peut-être… peut-être que certains d’entre vous ont vécu une histoire dont la sincérité et la passion pourront le convaincre que son amour est possible ?
Le géant de pierre poussa un long soupir, rongé par ses pensées désespérées, regardant son reflet dans une chope colossale de boue. Saurez vous atteindre et inspirer ce grand cœur de granit avec votre histoire d’amour ?
(HRP) : Retrouvez toutes les règles de participation sur le SUJET HRP. Vous pourrez également y commenter les participations, le sujet RP étant exclusivement réservé aux participations.
Aussitôt la demande du géologue animalier formulée, une voix interpella ce dernier :
- Je peux peut-être vous aider ?
Machinalement, la petite foule porta son attention sur la source de ces mots : un homme, assis non loin, semblait davantage captivé par la supplique de l’Osamodas, plutôt que par la paperasse qui abondait à sa table et qu’il délégua volontiers à ses collègues. D’aucun put en déduire qu’il s’agissait sans nul doute d’un marchand et de son groupe, profitant de leur escale dans cette taverne pour actualiser leur registre.
- J’ai une romance pour le moins étonnante à vous proposer : la mienne, pour tout vous dire.
L’homme se leva et, avec l’approbation manifeste de M. Gogie, s’éclaircit la voix avant de commencer son histoire. Ses collègues, visiblement déjà aux faits, sourirent et prirent le relai sur leurs besognes administratives.
- C’était il y a une bonne dizaine d‘années. J’avais engagé un groupe de mercenaires pour escorter ma caravane et moi à travers les vastes landes, loin à l’ouest d’ici. Je vous épargne les nombreuses péripéties, mais sachez que ça aura été à la fois la pire décision de ma vie et, pour autant, celle que je regrette le moins du monde !
L’assistance se réorganisa autour du nouvel orateur qui entra dans le vif du sujet :
- Alors que nous progressions dans ces contrées inhospitalières, nous croisâmes une… meute ou, en tout cas, un groupe de Douziens très singuliers : des Ouginak ! Notre intrusion dans leur territoire de chasse les incommoda et ils nous le firent rapidement savoir. Alors, pour calmer le jeu, je leur proposai diverses denrées et marchandises, mais ils les refusèrent catégoriquement ! « Ce serait contraire à nos principes » qu’ils me répondirent. Bref, pour un premier abord, c’était mal engagé. Cependant, alors que les « barbares » – comme certains de mes contractuels de l’époque les qualifiaient – retournaient à leur traque, l’une d’entre eux resta quelques instants de plus. Cela attira forcément mon attention. J’ai alors voulu lui adresser la parole, mais quand nos regards se croisèrent… Nous nous fixâmes. Elle était si magnifique…
L’homme soupira de nostalgie et ne put s’empêcher de rougir, ce qui ne manqua pas d’attendrir l’assistance et d’amuser le reste de ses collègues qui avaient, entre temps, terminé leurs comptes.
- C’est sans doute ça qu’on appelle le coup de foudre ! reprit le marchand. Je ne me souviens plus exactement de ce que je lui ai bafouillé. Nous avons dû nous présenter laborieusement. Toutefois, je crois avoir voulu lui offrir la première chose à portée de main qu’il m’eut été possible de saisir sans avoir à détourner mes yeux des siens. Cela a duré quelques dizaines de secondes, aux allures d'éternité, puis… Elle rejoignit les siens hâtivement ; emportant malgré ses préceptes, mon cadeau improvisé.
Un faible râle de déception retentit parmi l’audience. Mais l’individu n’en avait pas encore fini :
- Quelque temps plus tard, c’est à ma grande surprise sur un marché que nos chemins se recroisèrent. Tout aussi laborieux ; l’étonnement en supplément ; notre seconde rencontre se résuma à un simple achat de sa part. Mais il y en eut d’autres, à intervalles réguliers et, petit-à-petit, celui-ci devint assez clairement un prétexte pour nos rencontres. Puis nous nous vîmes à d’autres occasions. J’appris ainsi qu’elle avait fait le vœu de quitter sa tribu. Qu’elle avait choisi une autre vie qui lui semblait possible. Un jour, je trouvai le courage de lui demander pourquoi nous nous retrouvions si fréquemment. Comme unique et merveilleuse réponse de sa part, je reçus un baiser.
Les pommettes rouges à nouveau, l’homme se tourna face au rugueux colosse, comme si la suite, fin et morale de son histoire lui étaient directement adressées :
- Avant de la rencontrer, je n’aurais jamais imaginé épouser une femme si différente de ce que je suis. Après l’avoir vue une première fois, je me disais que c’était impossible, puis au fil des rencontres, on apprend de l’autre ; on lui prête parfois quelques-uns de nos traits ; on découvre nos différences que l’on peut accepter malgré tout. Alors si ce Craqueleur tout en courbure fait chavirer le plus rocheux des cœurs, il doit bien exister un sujet sur lequel vos craquements ne tourneront pas en rond ?
La voix, qui malgré sa douceur avais fais sursauter la plus part des langoureux auditeurs, venait de tout à coté, à une table adjacente de celle ou était installer Lythoboule.
- Owh, je suis navré si je vous ai surpris...
En effet, difficile de remarqué un si petit homme caché derrière ce monticule de pierre...
- Je n'ai pus m'empêcher d'écouter votre histoire et cela m'a donner l'envie de vous conter la mienne. Puis-je ? demanda le petit homme aux oreilles pointu.
Léo Gogie fit un signe de la tête en guise d'aquiécement, un petit sourire en coin, comme satisfait de voir quelques douziens se préter au jeu.
- Bien. Mon histoire commence à Astrub, dans mes débuts en t'en qu'aventurier. Je cherchais du travail et une équipe recherchais justement quelqu'un ; l'équipe de Bella Béton, une iop particulièrement casse-coup. On était si différent elle et moi...
Sur ces mots, le craqueleurs releva très légèrement la tête, se sentant comme concerné. Léo ne manqua pas de le remarqué et fis un signe discret au petit homme pour lui indiqué de poursuivre.
- Elle était casse-coup, comme je le disais ; toujours à foncer tête baisser sans penser au concéquence là où je réfléchissais à tout ; avec un caractère si fort quelle aurai caché une montagne avec son égo là ou je disparais dans une taverne... Je suis très vite tomber amoureux.
- Vous parlez d'elle au passé..? demanda à demi mot une crâ qui écoutais aussi.
- Oui, repris le petit homme, elle est morte il y a deux ans à présent. Le pire est de savoir que j'ai passer 7 ans de ma vie à ces côté sans jamais lui dire ce que je ressentais, là où nous aurions pus vivre, peut être, une belle histoire comme le Marchand et sa femme Ouginak...
Le petit homme se mis alors sur la table du craqueleur, face à lui, accroupis pour être à sa hauteur.
- Réfléchis de manière logique tête de rock. T'as rien à perdre à tenter ta chance mais tu peux tout louper à ne pas le faire. Alors vas-y, essaie, et vie une belle histoire pour moi. Trouve les mots juste...
Le petit homme se redressa et et pris le chemin de la sortie tout en marmonant
- les mots que je n'ai pas su trouver... qu'elle comble pour un éniripsa....
Et en un battement d'aile, dans un silence doux, il disparu aussi facilement qu'il était apparu.
La foule se tourna vers un jeune Crâ. Accoudé au bar, le nez rosé avec un large sourire sur son visage, tout portait à croire qu’il n’en était pas à sa première consommation. Connu des habitués de la taverne, il était un pêcheur aguerri et il était coutume à sa table d’écouter ses exploits lors de ses parties de pêche sur le port de Madrestam, son « spot de pépêche préféré » comme il l’aimait bien l’appeler.
Léo Gogie, suspicieux par ce Douzien avachi nonchalamment sur le bar lui fit signe de poursuivre. Après toutes ses tentatives défectueuses, plus rien n’était à perdre de toute façon.
- Voyez-vous, je vais vous surprendre, mais je vais vous parler pêche ce soir ! s’esclaffa le disciple de la reine des pommes.
- Comme si tu savais parler d’autre chose ! s’exclama son ami Enutrof qui l’accompagnait de temps à autre à la pichine à Pichons lorsqu’il était encore un enfant.
- Une énième tirade pour finalement nous raconter que tu es rentré « brocouille » ?! plaisanta une serveuse qui passait par-là.
Des rires gras comme on en entendait tous les soirs à la taverne s’échappèrent de l’audience et retentirent jusqu’au zaap du village. D’un geste assuré des deux mains, le jeune homme aux oreilles pointues moqué mais amusé par la scène, ramena le calme nécessaire à la bonne écoute de son récit. Lithoboule, appelé par le raffut qui s’installait dans la pièce, détourna sa large tête rocailleuse de sa chope de boue en direction du jeune Crâ.
- L’autre jour, il n’y a pas si longtemps, alors que je pêchais au bord du bateau pour l’île de Nowel, je fis une découverte qui ne laissera personne indifférent !
L’archer se redressa droit sur son tabouret comme si tout à coup le sérieux l’avait envahi, se saisissant d'un long bâton terminé par un fin crochet : l’outil de sa passion favorite.
- Cette canne, je l’ai sculpté moi-même ! Dans le même bois que mon arc ! C’est une fierté ! Hélas, je n’ai jamais réussi à tirer un poisson hors de l’eau avec, sauf ce jour-là aux côtés d’Hector Nowel ! Peut être que c’est lui qui m’a porté chance allez donc savoir… Lithoboule ! Regarde ça !
Retirant ses mitaines, l’aventurier plongea ses mains dans son havresac et sorti un nouveau sac, plus petit. Un fort parfum de poisson saisît le nez des convives.
- Ahhhh, quelle odeur envoûtante… chuchota le pêcheur invétéré.
Le sac ouvert, l’odeur marine explosa de plus belle mais les spectateurs bien trop curieux tendirent un à un leur cou pour observer le contenu de ce qui semblait être une merveille du monde des Douze.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda une Iopette bien trop occupée à se boucher le nez que de faire fonctionner ses quelques neurones pour reconnaître le poisson du coin.
Grouillant par dizaines, le sac était rempli à craquer de petites boules roses à tentacules, il s’agissait de toute évidence de…
- Des kralamoures ? Tout ce cinéma pour un sac de kralamoures ? s’enquit son ami Enutrof.
- Oui ! Les choses simples sont les plus parlantes ! N’est-ce pas ce que vous me répétiez inlassablement quand j’étais petit, vieux grippe-sou ? D’ailleurs vous n’avez pas tout vu, vous savez bien que je garde toujours le meilleur pour la fin !
- Hmrrpff… grommela l'avare.
- Vous connaissez tous les mœurs du kralamoure ? Regardez-les ! Ces petits coquins aux yeux doux prêts à toute occasion à s’embrasser et s'accoupler. Un poisson comme ça, il n’en manquera jamais au port, je peux vous le garantir ! Lithoboule, regarde !
Le pêcheur sorti cinq kralamoures du sac et les dispersa sur le comptoir, tous les regards étaient portés sur ces poissons. Léo Gogie doutait de plus en plus de la démonstration de ce Crâ mais voilà que tout le bar s’agglutinait autour du comptoir et rien d’autre n’était à regarder.
- Tu as raison, ils sont tous attirés l’un pour l’autre, ils ne peuvent pas rester en place tout seul, s’ils pouvaient se reproduire à cinq ils le feraient ! s’étonna la Iopette d’une voix enrubée.
- En effet, maintenant admirez-ça…
Le pêcheur enjoué se saisit de son carquois. Quand il partait à la pêche, celui-ci était vidé de ses flèches et servait de conteneur lorsqu’il manquait de place ou pour ses plus belles prises comme c’était le cas pour ce soir. Dévissant le maigre capuchon, le voilà brandissant un kralamoure semblable aux autres posés sur la table, à la seule différence que celui-ci n’étais pas rose mais plutôt aux reflets bleu azur…
- Par Enutrof mais c’est... !
- Oui… un kralamoure d’une rareté sans nom. Je n’en ai jamais vu de tel, on peut dire qu’il est unique en son genre. Maintenant, regardez, si le je le pose sur le comptoir…
Et un sixième kralamoure s’additionnait sur le bar qui se transformait peu à peu en poissonnerie. Tout à coup, les cinq poulpes roses se tournèrent vers celui qui était pour eux d’un autre continent. Leurs tentacules se mirent à virer au rose écarlate, de toute évidence ce kralamoure couleur océan leur faisait de l’effet. Les voilà, frétillant davantage, ils en étaient éperdument amoureux, si bien qu’ils en oubliaient qu’ils étaient six sur la large planche de bois…
- Le kralamoure bleu a l’embarras du choix, si je vidais le sac de kralamoures roses sur la table, tous sans exception se battrait pour lui mais celui-ci n’aime qu’un seul kralamoure. Voici une créature plutôt réservée et timide, c'est un comportement assez surprenant quand on connait les kralamoures... Bon ça ne fait que renforcer son côté unique j’imagine... La nature est bien étrange des fois, voilà pourquoi j'aime tant la pêche !
D’un revers de la main, le jeune Crâ remis les poissons à leur place respective. Les grouillements des kralamoures devenus inaudibles, un long silence s’installait dans la taverne. L’aventurier posa son regard acéré sur les deux compères. Léo Gogie sentit un frisson lui parcourir l’échine. Ce pêcheur à la chevelure longue venu de Madrestam aussi plaisantin soit-il venait de bousculer quelque chose en son for intérieur. Il sentit que les mots qu’ils n’avaient pas réussi à exprimer à son compagnon de pierre étaient là, au cœur de cette mise en scène burlesque comme on en voit que dans les tavernes. Suivant les prunelles des yeux vifs du Crâ, il se tourna vers Lithoboule. Silencieux, le colosse de pierre n’avait ni émis de craquements, ni touché à sa choppe de boue depuis qu’il écoutait cet aventurier sans queue ni tête, lui, et ses kralamoures colorés.
- Et vous êtes ? Demanda Léo Gogie.
- Oui. Lui répondit l’inconnu tout en quittant sa table pour rejoindre Lhitoboule.
- Arrêtez de rire, je ne vous le permets pas ! Dit-il sur un ton menaçant.
- Je me mis en quête d’un prêtre qui accepterait de célébrer notre union, mais même après des heures interminables de torture, ils refusèrent tous. Après plusieurs mois d’effort et de recherche, je revins auprès de ma dulcinée, déçu et triste.
Mais nous n’avions pas l’intention de nous laisser abattre pour si peu, les racines de notre amour était profonde et de plus, nous allions bientôt agrandir notre arbre généalogique. Quelques temps après, alors que nous vivions désormais à trois, nous eurent la chance de recevoir une visite inattendue de Mestre Dujeu. Celui-ci avait été ému par notre histoire et avait décidé de venir nous offrir ses services afin de célébrer notre union. Et ainsi, après des années de lutte acharnée, nous étions enfin mari et... Nous étions unis !
Persuadée de se retrouver avec des trafiquants, elle fut étonnée de trouver face à elle un craqueleur tout triste assisté d’un Osamodas. Elle reconnu ce dernier comme étant la personne qui avait déclaré avoir un compagnon en manque d’amour. Tout à sa quête, la petite archère rousse ne s’était pas arrêtée. Cependant, maintenant qu’elle était assise face à tant de malheurs, son cœur lui interdisait de repartir sans rien tenter pour soulager cette âme en peine.
- Bonjour, je m’appelle Rose. Puisque je me suis incrustée à votre table sans vous demander votre avis, laissez-moi essayer de vous aider en compensation.
Prenant une gorgée, la jeune fille plongea dans ses souvenirs, quelques années en arrière.
- Il y a quelques temps de cela, alors que les dieux venaient de m’invoquer sur Incarnam afin de partir en quête de leurs précieux Dofus, je parcourais le monde pour devenir plus forte et trouver des informations sur ces œufs si puissants qu’ils font rêver tous les aventuriers.
Si elle avait commencé son histoire ainsi ce n’était pas par pur hasard. Bien que ce soit la vérité, elle espérait attirer dans ses filets les trafiquants de faux Dofus et faire ainsi d’une pierre deux coups : aider le craqueleur et attraper ces malfrats.
- Alors que je venais de rejoindre ma guilde, je rencontrais un Iop. C’était un Iop gentil, bien qu’un peu bourrin comme tout Iop qui se respecte. Alors qu’il était déjà très fort, il prit le temps de s’arrêter et de me tendre la main. Tout nous séparait : lui à son plus haut niveau de puissance, possédant la dernière panoplie à la mode, Brakmarien dans l’âme et avec beaucoup d’idées reçues sûr ces crâ prétentieux. Moi, petite débutante, fraîchement débarquée d’Incarnam, encore vêtue de la panoplie bouftou et n’ayant même pas encore le droit de me rendre à Frigost, Bontarienne jusqu’au bout de ma flèche et avec beaucoup a priori sur ces Iop sans cervelles qui passent leur vie à taper sans laisser à nous autres archets la visibilité dont nous avons besoin pour la plupart de nos flèches.
S’arrêtant un instant pour boire, Rose souris en se remémorant ses premiers jours au côté de ce Iop si différent. Plongée dans son histoire elle en avait oublié sa quête et son auditoire.
- Alors qu’il faisait route seul, sans compagnons, il décida de rejoindre ma guilde après quelques combats. Pourtant, nous n’étions pas à la hauteur de ses compétences, loin de là. Nous étions en tout et pour tout trois débutants et, bien que notre meneur ai un peu plus d’expérience que moi, il était bien moins fort que lui. Au sein de notre guilde se trouvait en plus un autre Iop, qui, il faut bien l’avouer, correspondait bien aux clichés sur sa classe : bon vivant, il passait beaucoup de temps à faire des blagues, parfois, voir souvent, d’un humour douteux et n’était pas vraiment porté sur la stratégie durant les combats. Disons qu’il tapait d’abord et qu’il posait les questions ensuite.
Bon d’accord Rose exagérait un peu. Mais l’histoire semblais avoir capturé son auditoire, alors elle continua sur sa lancée, essayant de rester le plus possible fidèle à la réalité.
- Nous étions donc maintenant quatre. Les trois garçons parlaient beaucoup entre eux alors que moi, beaucoup plus timide, je restais en retrait bien que très attentive à ce qui se disait. Cette période m’a permis de m’adapter doucement à cette nouvelle guilde, à ce nouveau monde et je me suis attachée à ce nouveau venu. Bien sûr, au début je reniais mes sentiments naissants, persuadée de ne le considérer que comme un ami proche. Sauf que cet ami, je ne supportais pas qu’on s’en prenne à lui ou qu’on le charrie un peu trop. Dès que quelqu’un voulais lui faire du mal, je contre-attaquais. Moi la petite crâ inexpérimentée !
En repensant à ces tentatives de protections ratées, Rose laissa échapper quelques gloussements avant de reprendre le cours de son récit.
- Pendant plusieurs mois nous restâmes de simples amis. Puis un jour alors que j’avais acquis beaucoup plus d’expérience et que je paradais maintenant avec ma toute nouvelle panoplie tengu, tout s’accéléra. A ce moment notre meneur avait dû nous quitter et nous avions quelques soucis de gérance. C’est alors que cet ami présent dans l’ombre depuis si longtemps m’a aidé à redresser notre guilde. Nous parlions de tout et de rien après une réunion de crise quand il m’apprit tout à coup qu’il avait réalisé exactement 666 quêtes ! Je le félicitais alors avec un grand sourire en lui apprenant que c’était mon chiffre préféré. Étonné que j’aime ce chiffre moi la petite bontarienne si sage, il m’interrogea. Une conversation endiablée s’ensuivit, finissant tard dans la nuit. Cette nuit là je me couchais ravie et cherchais déjà une excuse pour lui reparler le lendemain matin.
Rose tourna la tête vers le craqueleur et souris doucement vérifiant au passage qu’il écoutait toujours. C’est à cet instant que tout avait basculé entre eux.
- C’est à partir de là que tout à basculé. Passant d’amis à plus, beaucoup plus. Nous passions nos journées ensemble, affrontant tous les périls du monde des douze, s’aventurant jusqu’à des endroits les plus reculés. Tous ces voyages nous les faisions à pied, trouvant à chaque fois une bonne excuse pour ne pas prendre de zaap ou de potion, pour pouvoir passer le plus de temps possible ensemble. Le soir au coin de notre feu de camps nous discutions de tout et de rien pendant des heures, avant de sombrer quelques petites heures dans l’inconscience et de recommencer de plus belle le lendemain. Je manquais alors de sommeil mais les sentiments qui s’étaient épanouis en moi me maintenaient éveillée. Nous étions alors bien loin des deux inconnus si différents que nous pensions être au début, comme toi tu penses être différent de l’élue de ton cœur. A peine quelques temps après ce rapprochement, nous décidions de nous lancer et de commencer une nouvelle aventure ensemble, remplie d’amour et de tendresses. Mais aussi de combats et de victoires partagées.
Rose regarda alors le craqueleur et lui souris avant de conclure son histoire, qui n’était pas tant une histoire inventée puisque tout ceci était vraiment arrivé, et continuait encore à chaque minute qui passait.
- Cette aventure, je la vie encore tous les jours au côté de l’homme que j’aime. Ce qui nous différenciait nous a mené à de nombreuses discutions et n’a fait que nous rapprocher. Nous nous sommes trouvé de nombreux points communs au fil de ces débats endiablés et bien que toujours différents, nous sommes pourtant semblables sur bien des aspects. S’il y a bien une chose que je ne regrette pas c’est d’avoir croisé la route de ce Iop et d’avoir trouvé le courage de lui parler. Aujourd’hui nous avons trouvé une jolie maison au village des éleveurs, ce qui nous permet d’être à égale distance entre nos deux villes patries, Bonta et Brakmar. Cela fait maintenant trois ans que l’on s’est rencontrés et je n’ai pas regretté un seul jour d’avoir choisis d’entamer cette relation.
Finissant son verre de bière, Rose donna alors la clef qui l’avais aidée à franchir le pas.
- J’aimerais que tu réfléchisses à quelque chose pour moi : qu’est-ce que tu risques en essayant ?Au pire ça ne marchera pas et tu ne perdras rien. Tu auras toujours ta famille, tes amis et tout ce à quoi tu tiens. Et si ça marche ? Alors tu vivras une aventure merveilleuse, tu seras heureux et plus que tout tu la rendra heureuse. Tu n’as donc rien à perdre ! Fonce et découvre ce que l’avenir te réserve.
Sur ces derniers mots, Rose récupéra son verre vide et se dirigea vers la suite de son aventure, à la recherche des faux Dofus. Elle espérait avoir donné le courage nécessaire à ce gentil craqueleur pour se lancer dans la grande aventure merveilleuse, mais pas moins effrayante, qu’est l’amour.
Il faisait nuit depuis un moment sur le village d’Amakna, l’auberge commençait peu à peu à se vider, le Craqueleur et son ami disciple du Maître des Bêtes étaient encore là, ils échangèrent sans doute quelques mots après le passage de la Cra répondant au nom de Rose.
Une couleur prédominante pour la saison des amours et qui se mariait bien avec la face rougeâtre des habitués qui, à cette heure tardive ne connaissaient plus qu’un langage celui du bwork…Mais parmi eux, il y avait deux femmes, une Huppermage et une Pandawa, l’une d’elle avait vidé pas mal de chopes ce soir, mais détrompez vous ce n’était pas la disciple de La Soif Eternelle car celle-ci ne tournait qu'à l’eau.En effet étrangement l’équilibre de vie de la disciple de la Balance Krosmique penchait davantage vers la boisson qui semblait être son élément favori…
Elle se leva tant bien que mal tout en gardant sa chope encore pleine, en veillant à ne pas en perdre une goutte puis elle s’approcha de la table où se trouvait Lithoboule et Léo Gogie.Elle s’installa près du Craqueleur sans même lui demander son accord et posa sa chope à côté de la sienne encore pleine de boue.Le géant de pierre était tellement tourmenté et plongé dans ses pensées qu’il n’eut aucune réaction, quand à l’osamodas il regarda étrangement cette femme.
« Reviens ici Brita ! N’importunes pas ces deux personnes. » cria la Pandawa auprès de son amie.
Elle jeta un regard vers les deux importunés et leur dit : « Veuillez l’excuser, elle a encore un peu trop bu ce soir… »
« Je sais ce que je fais Nya ! Ne t’inquiètes pas je suis encore consciente.
Messieurs j’ai pu observer les va-et-vient des différentes personnes qui sont venues à votre rencontre.Et j’aimerais moi aussi vous raconter mon histoire.» Lithoboule observa avec un peu plus d’attention Britannia et Léo Gogie acquiesça sa demande d’un signe de tête.
Voyant que la situation était redevenue calme, Nya s’approcha elle aussi , toute aussi intriguée que les deux autres de connaitre l’histoire de Brita.Il y avait également d’autres convives qui lâchèrent leurs boissons ou leurs dentiers c’est au choix pour écouter la jeune huppermage.
« Alors d’abord mon cher Litho, ne perds pas la boule face à ma demande mais est-ce que tu peux sourire ? »Un peu gêné et à la fois surpris par le tutoiement et la demande de cette dernière, il hésita un instant, puis il se mit quand même à sourire , une fois sa bouche ouverte on ne pouvait y voir qu’une dent..
« Non mais ça alors ! Regarde Nya il a une dent en or c’est un signe mais attention pas de richesse !
Je veux dire par là que si tu as une dent en or, tu as forcément un coeur en or ! » Puis elle ricana.
« Brita ce n’est pas drôle ça il est déjà mal en point… » Répliqua Nya en lui jetant un regard noir.
« Non mais ce n’était pas méchant... Bon je m’excuse de ne pas être aussi polie que l’élu de ton coeur..Après tout je ne suis qu’une simple douzienne, qui aime vagabonder là où la Balance Krosmique me mène.. » Suite à cette phrase Lithoboule lâcha un petit craquement.
« Oh ! Toi aussi tu craques, tu vois finalement le syndrome du coeur de craqueleur ce n’est qu’une légende je le savais ! » Dit-elle d’un air enjoué.Léo ricana car son interprétation du craquement était fausse, mais le craqueleur regarda Brita et son nouveau craquement fut différent du précédent.
Après avoir entamée la moitié de sa chope elle regarda celle de Lithoboule et lui dis
« Tiens étonnante ta boisson, mais tu as raison la boue c’est génial surtout pour la peau ! » Elle lâcha la sienne puis attrapa sa chope et se balança la boue tout en se l’étalant sur le visage.
A cet instant personne au sein de l’auberge ne compris ce geste inattendu..
Voyant les regards tournés vers elle, elle tenta de se justifier :
« Bah quoi... Je voulais être encore plus belle pour mon histoire, et on m’a souvent dit que pour avoir une vie plus animée il faut parfois un peu drama… Litho écoutes moi bien car je vais te parler de l’amour de ma vie.Mon histoire ne sera peut-être pas aussi belle que celle du marchand et de sa femme Ouginak... Et si ça peut te rassurer il n’y aura pas d’histoires de kralamoures même si j’adore manger ces poissons.Mais si il y a bien une chose en commun avec celle de l’archer, c'est que moi aussi l’être unique je l’ai rencontré... »
Le regard de Lithoboule n’avait toujours pas changé depuis le début de la conversation il était encore perdu, l’huppermage continua tout de même...
« Il y a plusieurs mois maintenant, au cours de l’une de mes rares soirées arrosées, j’ai terminé ou débuté en vrai je ne sais plus trop à la taverne de Pandala.. » A la suite de ce mot Nya se remémora cette soirée puis elle se tourna vers Brita et lui rétorqua :
« Tu as terminé ta soirée là bas, au départ tu étais à la taverne d’Astrub Brit… »
« Ah oui c’est ça en effet ! Alors où en étais-je ? La taverne de Pandala, je n’y avais jamais mis les pieds, il faut dire que je ne voulais pas connaissant mon addiction pour les boissons alcoolisées…Mais en tout cas je ne le regrette pas car c’est durant cette soirée que j’ai pu faire la connaissance d’une personne fabuleuse ! Oui Litho tu l’auras compris, ce soir là j’étais comme toi intimidée , mais maintenant je prends mon courage à deux mains.» Elle s’arrêta elle ingurgita le reste de sa chope avant de reprendre.
« Nya ! Tu te souviens de ta phrase lors de notre première soirée.
" C’est Brita qui boit mais c’est Nya qui trinque ! " Cette phrase restera imprégnée dans ma mémoire.Ce soir ce n’est pas un test alors s’il te plait ne sors pas ton éthylo, de toute façon face à ta beauté je suis à bout de souffle, oui Nya c’est avec toi que je veux partager ma gueule de bois , hum même de boue.. j’ai eu le coup de foudre pas celui de Rushu mais de ton art du Pandawashu… »
La Pandawa ne savait plus où se mettre, elle n’avait pas les mots, en revanche Lithoboule lui était très à l’écoute.
Brita était lancée, elle ne pouvait s’arrêter, elle continua :
« Malgré les trous noirs je me souviens encore de notre rencontre où tu as vu ma vulnérabilité, pourtant ça ne t’as pas empêché de me faire du bouche à bouche durant ma nausée.. »
Brita se retourna vers le Craqueleur « Et oui tu sais l’Amour se trouve dans les bons comme dans les mauvais moments. »
Puis elle repris de plus belle :
« Je sais que depuis ce jour tu n’as plus touché à l’eau-de-vie, alors que c’est ta boisson de coeur et chaque jour tu en meurs d’envie, une telle privation est pour moi un lot de consommation. »
Brita lâcha un énorme rot avant de se reprendre
« Pardon euh je voulais dire de consolation, je ne te remercierais jamais assez, car c'est un peu la stabilisation de notre relation… »
Nya semblait devenir aussi rouge que Brita , alors que celle-ci n’avait pas bu une seule goutte d’alcool…
Les habitués étaient tous à l’écoute enfin plus ou moins, l’un d’eux cria :
« A la santé de Brita et Nya ! » et tous crièrent en coeur dans l’auberge et levèrent leurs chopes.
Brita leva sa chope vide et tourna son regard vers Lithoboule, avant de lui dire :
« Tu vois aujourd’hui grâce à toi je suis libérée, je lève ma chope vide en ton honneur, car ça fait des mois que je n’avais pas eu de courage de livrer, tout ce que j’avais sur le coeur, une simple rencontre peut changer le cours de notre histoire. Je te remercie et j’espère sincèrement que t’y arriveras toi aussi, il n’y a pas de raison que tu n’arrives pas à faire craquer le coeur de cet être poli.
Tu sais j'avais l’impression d’être une victime et l’alcool mon bourreau, je le dis haut et fort Nya si tu veux partager ma vie avec toi je passerais à l’eau !
C’est drôle cette expression de bourreau je ne sais pas pourquoi celle-ci m’est venue en tête, heureusement que le petit être aux ailes pointues n’est plus là il aurait pensé à sa défunte disciple de Iop...
Je terminerais en disant que l’amour est loin d’être une maladie, et que parfois il faut être patient, et que le meilleur remède est d’avouer tout ce qu’on a sur le coeur, et Litho c’est bon signe si il craque dans l’heure ahah... »
Après sa phrase Brita s’allongea sur Lithoboule en lui mettant sa main sur son coeur avant de s’endormir…
Nya était restée bien silencieuse pendant les dernières paroles de Brita, mais elle avait retrouvé son teint pâle de d’habitude, elle s’excusa encore une fois pour la comportement de cette dernière..
Elle attrapa Brita en essayant de ne pas gêner le Craqueleur et la porta sur son dos, Léo Gogie remercia l’huppermage endormie ainsi que la Pandawa pour ce moment passé en leurs compagnies, Lithoboule lui fit un dernier Craquement avant de voir les deux femmes quitter l’auberge….
Est-ce que c'était le craquement de l'espoir retrouvé, ou juste un signe de fatigue elles ne le sauront peut-être jamais ?
Un Zobal aux cheveux cramoisis s’était approché de l’attroupement. Alors que le couple sortait dans la nuit, déjà une énième aventurière ailée avait commencé son histoire. Le masqué sauta d’une cabriole entre elle et Léo et lui coupa la parole d’un « TATATA » retentissant. La laissant pantoise, l’homme qui avait obtenu l’attention des clients reprit :
- Ah, l’Amour qui fait chavirer le cœur des humains et des autres depuis la nuit des temps ! Dieux, voilà une expérience qu’il faut vivre dans sa vie, je vous le souhaite à tous et notamment à toi, ami rocheux.
Il prit une seconde pour inverser sa tête de Pleutre avec une autre toute aussi bigarrée mais à l’origine inconnue des gens présents.
- Moi aussi, j’aime… J’aime les masques !
Sa face en bois souriait. Et l’Eniripsa interrompue plus tôt releva un sourcil en constatant que celui qui lui avait coupé la parole n’était pas sérieux. Un drôle ! Cependant, il semblait avoir intéressé son auditoire avec sa mascarade.
- Je suis Adellan, anthropologue et sculpteur à temps partiel, philanthrope et masqué vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Me laisserez-vous raconter mon histoire, messire Craqueleur ?
Le rocailleux acquiesça d’un craquement. Léo, lui, l'incita vigoureusement à poursuivre.
- Fort bien ! Hihihi ! Ah l’amour, qui nous enivre de ses exhalaisons… Tous égaux, tous différents, de la même manière mais pas de la même façon. Messire Brâkmarien sur son arbre adoré, ou encore deux aventurières unies par la bière !
Le farfelu sortit de son sac à dos un visage sculpté, celui d’une femme à l’air rieur. Son artiste, certainement Adellan lui-même, avait incrusté en guise de pupilles deux ambres dans ses yeux. Un objet de toute beauté, assurément.
Ça commençait à devenir intéressant.
- Comment représenter l’amour dans l’art ? Allégories, standards de beauté, raffinement et autres rêvasseries ? Rien n’est plus parlant que le sien, d’amour. Pour lui montrer après ? Oh, non, l’autre trouverait peut-être ça ridicule ?
Il jeta un regard étrange au visage entre ses mains.
- Non, l’amour n’est pas ridicule. Non, non, non. Mais à trop hésiter, Xélor a fait son œuvre et il est trop tard. L’autre a été emporté, par la vague du métaphorisme que vous interpréterez ma foi comme vous voudrez.
Détachant son regard du masque aux yeux dorés, il fixa les siens sur le Craqueleur éploré.
- Cours-y vite, il va filer. Qu’est-ce qu’elle dit déjà la chanson ?
L’anthropologue inclina sa tête sur le côté, dans un angle aussi absurde que son masque.
- Qu’elle court, la maladie d’amour. Dans le cœur des Craqu’leurs, à tout instant à toute heure !
Se retournant brusquement, il vint se placer contre la face de roc de Lithoboule et murmura quelque chose à ce qui lui servait d’oreille. Léo put tendre les siennes, il n’entendit rien du tout. Pourtant le rocheux semblait avoir compris. Puis il refit face au groupe qui hésitait entre sérieux et amusement envers l’histoire incongrue de l’étrange conteur.
- Anna, pardon, c’était de ma faute... Souviens-toi de ce que je t’ai dit, l’ami ! C’est la vague parfaite, c’est le jour parfait ! Ne te laisse juste pas submerger.
Puis, plus bas et une nouvelle fois :
- C’était de ma faute…
Il secoua la tête et laissa sa place d’une seconde cabriole à l’Eniripsa - ou à quiconque de plus rapide, allez savoir. Les yeux d’ambre d’Anna renvoyèrent quelques reflets dorés sur les murs, jusqu’à ce qu’il disparaisse, non pas dans la nuit mais à l’étage. Ben quoi, la soirée n’était pas terminée pour le Zobal.
- Moi aussi j’ai connu le grand amour, tu sais ?
Le Craqueleur récolta de nombreux regards envieux et, tandis que quelqu'un dans la salle ne put retenir un sifflement d’admiration, Léo Gogie se racla nerveusement la gorge. Lithoboule, en revanche, resta de marbre, les yeux toujours plongés dans sa chope de boue. La sramette faillit le rejoindre sur sa banquette avant de se raviser brusquement. Voyant celle-ci pencher dangereusement sur le côté, elle pris l’un des nombreux tabourets qui garnissaient la salle, avant de s’y asseoir, à côté d’un vieil énutrof, comme si elle y avait été invitée :
- Je ne me suis pas présentée : je m’appelle Fantomine, je viens de Bonta. Je veux dire que c’est là que j’ai grandi. Aujourd’hui j’habite dans un petit village, qui s’appelle les Piles de Kontouar, et mon histoire n’a rien à voir avec le conflit entre Brakmar et la Cité blanche… Bref, c’est à Bonta que j’ai connu le grand amour aussi. Mais, comme vous devez vous en douter, c’était un amour impossible
Elle passa langoureusement sa langue sur sa lèvre supérieure, comme si elle réfléchissait à ce qu’elle allait dire et tout l’auditoire fut alors suspendu à cet appendice buccal, dans l’attente des révélations qui devaient suivre.
- Il s’appelait Fesolpix et il n’était pas vraiment beau, dit-elle, tandis qu’une leur d’intérêt semblait s’allumer dans les yeux du jeune crâ, adepte de la pêche, ni particulièrement grand, ajouta-elle en regardant Léo Gogie qui s’emblait s’être figé sur place. Et il était si vieux qu’il devait avoir l’âge de mon grand-père, mais ce n’est pas pour cela que notre amour était impossible, précisa-t-elle, en faisant rougir l’énutrof de plaisir. Non, c’est parce qu’il a tué mon grand frère.
Elle bomba la poitrine en levant le menton et, le regard plongé vers l’horizon, elle incarnait ainsi, à elle-seule, l’honneur baffoué, la beauté outragée et toute la fierté de la noblesse des sentiments les plus purs : ceux que l’on porte aux membres de sa famille.
- C’était un roublard de la pire espèce et il avait réussi à le convaincre de l’accompagner dans l'un de ses projets douteux. Le casse de la banque d’Astrub, vous en avez sans doute entendu parler ? Fesolpix avait imaginé de le faire en deux temps trois mouvements : une première explosion pour attirer la milice d’Astrub dans la mauvaise direction, une deuxième pour ouvrir le coffre fort et, enfin, une troisième pour détourner l’attention le temps qu’ils disparaissent. Mais, malheureusment, ses mèches étaient trop courtes et mon frère n’est jamais sorti de la banque. On a découvert son corps sous les décombres, enseveli avec les kamas…
Léo Gogie essuya une larme, tandis que l’énutrof glissa maladroitement une main sur la cuisse de Fantomine pour la consoler. Celle-ci se dégagea pour décrocher l’un des nombreux fanions roses qui décoraient la salle, dans lequel elle pu se moucher dignement, avant d’exhaler un soupir qui semblait lui venir du fond du coeur : l’expression de la plus humble des résignations face à la cruauté du destin.
- J’étais très jeune à l’époque et mon grand-frère était un modèle pour moi. Papa avait dû nous quitter précipitamment, peu de temps auparavant (pour une sombre histoire de pierres précieuses qui avaient mystérieusement disparues avant de réapparaître sur les bijoux que confectionnait maman…). Alors, ayant perdu son fils aîné à la suite de son mari, maman sombra dans la dépression avant de perdre également son emploi de bijoutière. C’est ainsi que je fus contrainte d’accepter ce petit boulot de serveuse, à la Taverne de la Tabasse, et… Fesolpix y venait tous les jours.
Fantomine ferma les yeux et sa tête sembla tomber délicatement sur sa poitrine, comme s’il lui était trop difficile de supporter son poids en plus de celui des souvenirs qu’elle contenait. Tordant alors ses mains, comme si elle souffrait d’une douleur des plus sourdes, elle poursuivit son récit, après s’être discrètement assurée que son auditoire lui était acquis.
- J’ai toujours refusé de le servir, vous savez ? Il restait là, assis pendant des heures, en guettant mes regards… Je n’ai jamais sû comment il faisait mais, même quand mes horaires de travail changeaient il était toujours là. Il était là pour moi. Il arrivait que des amis le rejoignent et j’étais alors obligée de prendre leurs commandes. Mais, lui, je ne l’ai jamais servi : ses amis buvaient, mais pas lui. C’est à cette époque que j’ai commencé à assumer d’avoir choisi Sram parmi toutes les divinités du mondes Douze. Je me suis mise à porter des dagues à la ceinture et, lorsque nos regards se croisaient, je posais ostensiblement mes mains sur leurs manches, en le défiant du regard. Et, lui, pour toute réponse, il baissait les yeux, en signe de soumission.
A l’évocation de ce souvenir, la Sramette baissa les yeux, comme si c’était elle qui se soumettait, des années plus tard, au vieux roublard. Et, alors que son auditoire guettait les larmes qui allaient inmanquablement couler le long de son doux visage, Fantomine sembla rassembler son courage, avant de relever la tête.
- Quand il était seul, Fesolpix venait s’accouder au comptoir. Là, il continuait à me regarder du coin de l’oeil, comme s’il était naturel de rester seul au comptoir d’une taverne sans aucune boisson devant soit. Ce furent les moments les plus difficiles de mon existence. Non seulement il était là, sous mes yeux, mais je devais passer juste à côté de lui pour aller servir les clients. A chaque fois je sentais comme des gargouillis au creux de mon ventre et je me mettais à transpirer inexplicablement. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ses yeux qui suivaient tous mes déplacements et j’avais beaucoup de mal à me concentrer sur autre chose. De retour derrière le bar, il m’arrivait régulièrement d’oublier la commande que l’on venait de me donner et, pire encore, lorsque je sentais son parfum… je me mettais inexplicablement à trembler de tout mon corps, comme si j’étais prise par un froid intense et, au comble de l’humiliation, je me mettais alors à bégayer, comme s’il m’étais impossible de contrôler l’articulation de ma machoire.
Brusquement, la conteuse pris la choppe de Lithoboule et but rapidement une gorgée de boue, comme pour se donner du courage, avant de faire la grimace. Le craqueleur sembla alors se rendre compte de sa présence et souleva les sourcils, d’un air intérrogateur.
- Je croyais le haïr, vous savez ? Je n’étais pas en mesure de comprendre mes sentiments et je me torturais l’esprit, tous les soirs, en me reprochant de ne pas encore l’avoir tué. Un jour, au plus profond de mon désespoir, appliquant les préceptes de Sram, je me suis soustraite à ses regards avant de réapparaître derrière son dos, les dagues à la main. Mais je me suis retrouvée comme paralysée et n’ai rien pu faire d’autre. Fesolpix s’est alors retourné lentement et m’a regardé tendrement en me disant : « tu peux me frapper si tu veux ; je ne t’en voudrais pas ». Et, bien sûr, je n’ai pas sû saisir l’occasion. Je suis partie en courant, en maudissant ma faiblessse, que je croyais être de la lâcheté.
C’est à cet instant que les yeux de Fantomine se remplirent de larmes venant apporter la preuve de la véracité de son récit et, ne pouvant contenir son émotion, l’énutrof lui emprunta le fanion rose et s’y moucha bruyament.
- Voilà, je vous ai tout dit et vous savez maintenant que je vous ai menti : je n’ai jamais connu le grand amour. En réalité je l’ai rejeté. Je ne pouvais pas l’accepter et il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre la nature de mes sentiments. A tel point que je suis restée longtemps à travailler comme serveuse dans cette taverne, au lieu d’aller vivre ma vie, ailleurs, là où le destin m’appelait. Parce que je ne pouvais pas le quitter. Je croyais le détester et me reprochais tous les soirs de ne pas l’avoir tué, alors qu’en réalité la simple idée de ne pas le revoir le lendemain m’étais insupportable. Et, bien sûr, c’est quand il est mort que j’ai tout compris…
Il n’y avait plus un bruit dans la taverne, où tout le monde s’était tu. Léo Gogie renifla tristement en posant la main sur l’épaule de son ami, comme pour le soutenir dans cette épreuve qu’il n’avait pas vécu. Pour toute réponse, Lithoboule émit un craquement lugubre qui résonna dans le silence de l’établissement. Alors, l’énutrof tendit le fanion rose à Fantomine pour qu’elle puisse s’y moucher à son tour.
- Pour finir, je ne sais pas si je tomberai jamais amoureuse d’un autre homme un jour et encore moins d’un craqueboule. Mais je ne regrette rien : je n’aurais jamais pu vivre avec l’assassin de mon frère. Je ne l’aurais pas suivie à l’autre bout du monde pour fuir les conventions sociales. Non, mais j’aurais aimé avoir le courage de lui déclarer mes sentiments. J’aurais aimé qu’il sache que, malgré la différence d’âge, il aurait pu être l’amour de ma vie s’il n’avait pas commis la faute impardonnable de tuer mon frère. Qu’il sache qu’en l’assassinant il avait condamné notre amour à mort.
Fantomine se leva alors de sa chaise et, regardant le craqueleur avec pitiée elle ajouta :
- Tu sais Lithoboule, nos sentiments sont fait de pierre. Tu ne t’en étais peut être pas rendu compte jusqu’à présent mais, non seulement ils sont durs et froids, mais leurs aspérités font mal à chaque fois que l’on s’y frotte. Alors, il n’y a pas trente six solutions pour les atténuer, pour les adoucir. Soit tu attends que l’érosion s’en charge et tu seras sans doute mort avant. Soit tu trouves un tailleur de pierre capable de les arrondir, pour les transformer en sentiments de craqueboule. Ou bien tu te lances la tête la première, au risque de te casser dents. Mais, quel que soit ton choix, tu seras toujours le bienvenue aux Piles de Kontouar, pour nous raconter ton histoire.
Alors, la sramette se leva de son tabouret pour laisser la place à un autre conteur et s’éloigna de sa démarche ondulante en direction de la sortie. Tous les regards la suivaient et ce n’est qu’après quelle soit sortie de son champ de vision que l’énutrof se mit à chercher sa bourse. Il était pourtant persuadué de l’avoir rangée dans cette poche...
A sa suite s’engagea une petite file indienne de créature. Tibar Mane, le garçon de la maison avait bien essayé d’expliquer à cette sotte osamodas que les animaux n’étaient pas autorisés, mais il avait fini par abdiquer face au crocs saillants de ses bouftous. Attirée par l’attroupement près du feu, elle s’était installée juste à temps pour écouter les dernières tirades de la provocante sramette, et en fixant émerveillée son déhanché sensuel, elle se dit qu’elle pourrait apporter sa propre pierre au craqueleur.
- Si je peux m’inviter dans cette agréable partie, je pourrais vous raconter une part de ma vie. Je ne suis ni dramaturge ni Groméo, mais ayant été Ginette je peux vous conter comment mon cœur fut pris d’assaut.
Elle attendit que tous les regards se posent sur elle avant de reprendre. Elle aimait être la source d’attention.
- C’était une époque ou je multipliait les conquêtes, passant d’amants à courtisanes sur un coup de tête. Pour ces raisons taisons mon identité, je vous en serais bien gré. Et mon périple perdit donc très vite son côté anodin, pour se draper d’un climat bien plus malsain.
- Par exemple, alors que je servais de percepteur pour le grand Oto Mustam, dans les allées sombre de la cité des flammes, j’ai obtenu certaines faveur, afin de m’aider à oublier la dette d'une femme dans le malheur. Bien mal lui fasse, on la retrouva le lendemain pendu bien haut sur la place. Coïncidence probablement, après tout nous parlons de Brâkmar, la cité des cauchemars. Mais ce ne fut pas la seule malheureuse, à finir sur la liste de la Faucheuse.
Elle marqua une pause à ce moment, le récit prenait enfin son tournant croustillant. Elle commença alors à entasser ses tofus sur la table, une jolie pyramide de plume qui montait avec le suspense.
- Ho oui bien d’autres âmes dans mes pas, finirent dans les bras de Thanaténa. Une écaflip manquant de candeur, disparue dans les profondeurs. Un pandawa aux bourses bien chargées, il ne m’en reste que le porte-monnaie. Il était assez évident désormais, qu’un problème me pendait au nez.
- Heureusement pour mes nerfs, je n’eus pas à attendre le prochain hiver, pour que mon spectre avec audace, se décide à me faire face. C’était une sacrieure un peu déjantée, qui pensait alors m’être destinée. Qui après avoir éliminé tous mes prétendants, espérait devenir mon prince charmant.
Elle stoppa sa bouche et ses mains, regardant avec fierté sa création. C’était une pyramide de tofus de presque trois pintes de haut qui se dressait désormais sur la table. Elle amena alors près d’elle l’un de ses dragonnets qui traînait, et le positionnant à hauteur de bêtes, dispersa toute la pyramide en un souffle tiède. Elle reprit alors la parole, pendant que ses petites boules de plumes se dispersaient en vitesse au milieu des aventuriers.
- Vous devez facilement imaginer, que je lui ai fait tâter de mon fouet. Mais ça ne semblait pas lui faire peur, probablement son côté sacrieur. Au contraire même, elle semblait apprécier, et cela l’avait motivé à me suivre partout où j'allais. Quoi que j’affronte, bwork, kanigrou ou bontarien, elle apparaissait en un tour de main.
Attrapant l’un de ses tofus, elle se dressa sur la pointe des pieds, et tendit haut les bras afin de le placer sur l’épaule de craqueleur. C’était assez humiliant de se savoir si petite, et bien qu’elle n’attendait rien de plus, elle ne reçut qu’un craquèlement en réaction.
- Au final, je me questionne toujours sur leur utilité, à toutes ces apparitions inopinées. Je passais plus de temps à taper sur son joli minois, que sur ces anges maladroits. Je ne cachais en rien que c’était volontaire, de viser toujours son derrière, mais elle ne m’en tenait jamais rigueur, me soutenant toujours avec ferveur. Et je ne sais plus à quel moment exactement, au milieu de tous ces combats sanglants, qu'au lieu de la brûler, mes dragons se sont mis à la soigner. Nous avions fait face à tant de dangers, j'imagine que j’avais fini par l’accepter. Parmi toutes nos épreuves, je peux citer le xélor fou de l’île gelée ou la reine des maudits des terres desséchées, mais aussi le cauchemar des habitants de l’Arche, ou encore le multiman enchaîné à ses marches. Mais je m’en excuse je m’égare, pardonnez mon écart.
Pendant qu’elle parlait, elle était montée debout sur son bouftou, se hissant à hauteur d’épaule du craqueleur, et recommençant son manège d’empilement. Chaque nouveau tofus posé s’accompagnait d’un craquement de roche. Elle laissa alors de côté verres et vers, s'adressant directement au craqueleur.
- Tu sais mon grand, ton aimée elle va pas te tomber dans les bras. Les coups de foudre c’est bien mignon, mais ça n’arrive jamais quand on en a besoin. Ton amour, tu vas nous le construire. Cailloux par cailloux, pour le rendre solide comme un rock. Chaque journée tu apportera ta pierre à l’édifice, et le temps que tu le remarque, tu auras déjà érigé une forteresse, si inébranlable que ton âme sœur ne voudra plus jamais s’éloigner de toi.
A ces mots, la pyramide de tofus qu’elle venait de construire sur l’épaule du craqueleur bougea d’un bloc, sautant du haut de l’épaule du craqueleur, et atterrissant miraculeusement sans faire tomber le moindre compère. L’école du cirque n’était finalement pas si inutile. Après quelques cabrioles, ses petites bêtes se dispersèrent, et l’osamodas descendit de son bouftou, allant rejoindre la foule, après un dernier sourire pour Lithoboule.
Ci-dessus, le son d’ambiance imaginé dans la taverne d’Amakna, qui accompagnera le récit. Il a été spécialement conçu pour ce concours d’écriture. Ceci est ma première participation. J’espère que vous serez transporté par la musique et l’histoire de notre aventurier. Bonne lecture.
Un imposant et grincheux pandawa, qui jusque-là n’avait pas bougé d’un poil de sa table, sortit de sa longue et mélancolique sieste, les bras avachis sur plusieurs dizaines de bières bworks. Arrivé 2 jours plus tôt avec ses confrères pandawas, ce dernier était resté un peu trop longtemps dans la taverne. En plein pandarathon, leur tournée de bar hebdomadaire, le malheureux meurtri sombra trop vite dans l’alcool afin d’oublier l’élue de son cœur. Il fût aussitôt oublié par ces camarades dans la soirée. Il n’avait pas écouté plus du tiers des histoires des aventuriers qui entraient et sortaient de la taverne. Il décida quand même de se lever et prit la première chope qu’il vit sur le comptoir, titubant sur plusieurs mètres avant de reprendre ses esprits. Enfin, il tonna d’une voix forte encore emprise d’alcool.
- Eeeeeeeh !... Ecoutez-moi si vous voulez une histoire tragique ! La mienne ne finira pas comme celle du marchand ou du vieil enutrof ! Aucun guignol d’Alakma…de…d’Amalka… Nom d’un wasta ! Enfin bref… Personne ici ne pourra comprendre ma peine…
Les amateurs des dernières histoires se retournèrent de sitôt tandis que les habitués de la taverne qui n’aimaient guère voir les ivrognes, détournèrent le regard. Le spécialiste animalier fût surpris par le manque de bienséance de ce dernier, mais trouva utile d’écouter l’histoire d’un colosse pareil. Il espérait prouver à son ami rocailleux qu’un amour perdu pouvait transpercer le plus dur des cœurs de Pandala. La serveuse du comptoir prit l’initiative d’apporter une grande chope d’eau au pandawa afin qu’il puisse, le temps de son histoire, dessécher sa gorge et oublier le mauvais goût de l’alcool. Le gigantesque pandawa, appréciant le geste, prit une gorgée d’eau, toussa trois fois dans le creux de sa main et prit la parole.
- Pardonnez-moi, je démarre du mauvais pieds, permettez que je me dépicole ! Ce sera plus agréable pour raconter mon histoire !
Le pandawa sortit le tonneau qu’il portait derrière lui et prit quelques gorgées de son nectar spécial. Il commença son récit avec un sourire empli de nostalgie.
- C’était il y a quelques années déjà… une guerre éclatait entre Feudala et Akwadala… Pyro teknie, le fils de notre chef à Feudala, se jeta dans la gueule du meulou en s’aventurant trop prêt d’une de ces satanés frontières akwadaliennes. Un jeune garde akwadalien le voyant s’approcher trop prêt de son poste, lui décocha une série de flèches et le tua sur le coup. Afin d’apaiser les tensions, la milice akwadalienne exécuta le malheureux garde sur-le-champ. AHAHA !... Quand je repense à la tête de notre chef sous sa colère de Zatoïshwan ! Ça ne lui suffisait pas ! il lui fallait du sang et c’était l’occasion parfaite pour lui de se débarrasser des bisons 6 que lui avait offert le founoroshi lors d’une fête annuelle. Enfin bref, cette foutue guerre eût lieu rapidement, quelques jours plus tard, les deux clans se faisaient déjà face. Je m’en souviens encore… Les quelques bulbuissons et grenufars avaient disparu. C’était une faune habituellement bruyante qui s’était tue comme pour annoncer l’affrontement sanglant. A cette époque, j’étais un grand et valeureux guerrier, respecté et reconnu sous le nom de Yves Resse. Je ne comprenais pas cet affrontement mais nous n’avions pas le choix.
Le colosse reprit une gorgée d’eau, scruta l’assemblée qui s’était formée et fût surpris par le monde qui s’était amassé autour de lui. Il était plongé dans ses souvenirs. Le géant de pierre, qui jusque-là fixait sa chope de boue d’un regard maussade, attendait la suite avec impatience. Le pandawa prit une grande et profonde inspiration et continua son récit.
- Arrivé l’un en face de l’autre, les deux chefs ennemis se crièrent dessus brièvement. Ils brandirent leurs épées puis les abaissèrent d’un seul coup pour signaler la ruée sur le champs de bataille. Mécaniquement, je fonça tête baissée, premier sur la ligne, prêt à en découdre devant ces grenouilles d’eau douce ! Pensant y rester, j’allais d’abord faire honneur à mon clan en embrochant le plus possible d’akwadaliens ! Une dizaine d’ennemis terrassés plus tard, je reprenais mon souffle pendant quelques secondes en scrutant le moindre signe d’agression. Et là… Tout s’est arrêté… Je vous jure que mon cœur se figea net !... Ça peut vous paraître très cliché… C’est là que je la vis pour la première fois, ce fut une évidence pour elle comme pour moi, aucun mot ne pouvait décrire ce que nous ressentions à ce moment précis… Une magnifique akwadalienne qui dégageait une aura emplie de force, de beauté et de bienfaisance. Je ne pu me résoudre à décocher le premier coup d’épée et elle non plus. Nous n’étions pas en train de nous battre, et pourtant nos frères et sœurs d’armes gisaient tout autour de nous. Les bruits des armes sonnaient, les flèches sifflaient, les cris résonnaient et pourtant le temps semblait ralentir…
- Mais alors qu’avez-vous fait ? Avez-vous suivi votre cœur en quittant cette guerre sans intérêt avec cette pandawa ? s’exclama un petit féca un peu trop curieux.
Lithoboule, complètement absorbé, émit quelques craquements de pierre comme pour lui demander de continuer son récit. Léo Gogit, voyant son ami touché par l’histoire, crut distinguer une étincelle d’espoir dans les yeux du craqueleur. C'était la première fois qu'il le voyait aussi enthousiaste depuis sa peine de cœur. Le géant reprit.
- Hélas non… j’ai hésité de trop longues secondes et au moment où je tentai de me rapprocher d'elle, je la vis tomber sous le coup d’un camarade... Je suis resté figé, sans rien faire, le regard vide… Au même moment, un akwadalien qui se tenait déjà là, m’envoya au tapis avec un violent coup de marteau R’ture sur le crâne. A mon réveil, dans une tente de fortune à l’écart de la bataille, l'affrontement s'était calmé et les soldats comptaient leurs morts en priant revoir leur famille. Les dégâts étaient lourds dans les deux camps. Depuis, j’ai quitté mon rang et mes responsabilités afin de pleurer cet être, cet âme sœur que je n’ai pu voir qu’un bref instant…
Le géant se tut et de timides larmes commencèrent à couler sur son visage. Toute l’assemblée, captivée par sa fascinante histoire, fut émue. Même les habitués de la taverne les plus renfrognés à écouter son récit lui avaient prêté une attention particulière. Son odyssée était terminée et son histoire d’amour aussi. Le géant essuya d’un revers de main les quelques larmes qui glissaient sur ses joues. Il reprit une dernière fois la parole et s’arrêta net devant le Craqueleur, lui soufflant ces dernières paroles.
- Je n’ai pas pu arrêter une guerre et je n’ai pas pu sauver l’élue de mon cœur. Ne fais pas les mêmes erreurs que moi… L’amour ne se joue qu’à quelques secondes… Comme me disait souvent Shao Lynn, notre moine feudalien : Goutte à goutte, l'eau creuse la pierre. Ne noie pas ton cœur de roc dans tes larmes, sinon tu ne pourras plus remonter à la surface. Ne vends pas la pierre du craqueleur avant de l'avoir taillé. Craqueboule qui roule n’amasse pas mou…
Le craqueleur fronça les sourcils, le pandawa se rendit compte de sa bêtise, son corps commençait à redemander de l’alcool.
- Oups… Je m’égare ! AHAH ! L’alcool me remonte au museau, permettez que je repasse en picole ! Bref, va faire craquer le cœur de cette merveilleuse créature et débute une nouvelle histoire…
L’imposant pandawa quitta la taverne d’Amakna laissant tout le monde sans voix. Lithoboule avait suivi son histoire du début à la fin, son expression faciale, toutefois très rocailleuse, était maintenant différente…
Il fallut l’exclamation d’un Enutrof dépouillé pour que l’ambiance grivoise de l’auberge reprenne rapidement sa place.
- La bougresse ! cria-t-il avant d’attraper son chapeau Taufeu et de suivre Fantomine à la trace.
A peine claqua-t-il les portes de l’auberge que celles-ci s’ouvrirent avec fracas. Trois aventuriers aguerris, un Pandawa, un Sadida et un Féca, firent leur entrée tonitruante. Ils revenaient manifestement d’un long périple dans la Dimension Obscure. Le Pandawa, larmoyant de rire, s’amusait à mettre un masque de la Vivacité sur la poupée surpuissante du Sadida, celui-ci étant bien trop hilare pour défendre sa pauvre invocation. Le bagarreur assoiffé arrêta brusquement sa pitrerie avant de grimacer à l’odeur âcre de la pièce.
- Qui est la cervelle de Iop qui a oublié son sac de greuvettes pêché l’avant-veille ?! s’exclama-t-il, ignorant qu’il s’agissait plutôt des kralamoures d’une cervelle de Crâ mordu de pêche et ivre-mort avachi au comptoir du bar.
Il se tourna ensuite vers son ami Sadida.
- Même tes effluves n’hérissent pas autant mon poil et je pèse mes mots.
Il éclata à nouveau de rire avant de lui donner une tape dans l’épaule à l’en luxer.
Peu soucieux de leur environnement, les deux compères s’installèrent à une table non loin de celle de Lithoboule et Léo Gogie. Le Féca, suivi de près par son fidèle kokulte, plus réservé, hocha la tête à l’assemblée, s’excusant de l’euphorie de ses compagnons avant de leur emboîter le pas.
Ces trois perceurs de mystères, l’air fatigué mais victorieux, avaient bien une nouvelle quête en vue ; celle de la fête.
- Aubergiste !! Apporte-nous cinquante assiettes de fritures amaknéennes ! C’est moi qui régale ! s’exclama le Sadida.
- Et autant de bières d’Amakna ! C’est moi qui arrose ! s’empressa de rajouter le Pandawa.
Il ne fallut pas plus de temps pour que la foule en liesse se mette à chanter et danser sur les tables. Cherchant à regagner sa place avec deux chopes de bière dans une main et une assiette de fritures dans l’autre, le Féca essayait tant bien que mal de fendre la cohue. Une énième bousculade eut raison de ses pintes, dont le contenu mousseux arrosa allègrement Léo et son ami de pierre.
- Milles excuses, balbutia-t-il, confus, avant de leur tendre un mouchoir parfumé pour essuyer la cervoise.
Léo Gogie refusa poliment d’un signe de main avant de répondre :
- Ne gâchez pas ce doux tissu pour mes guenilles ni pour mon ami ! Regardez-le, il sèche déjà ! Et puis cette fragrance fleurie ne nous siérait guère.
Les oreilles pointues du Féca ne tardèrent pas à s’empourprer.
- C’est le mouchoir de mon épouse, elle me le donne avant chaque expédition, pour me rappeler qu’elle existe et que je ne dois pas trop m’éterniser dans mes aventures, se confia-t-il, plus écarlate que le plumage d’un kido.
- Tant d’affection ! Si ce n’est pas trop présomptueux, pourriez-vous nous conter votre rencontre avec votre épouse ? Voyez-vous, mon ami de pierre ici présent est tombé sous le charme d’un craqueleur poli, rencontré dans les Plaines Herbeuses d’Otomaï. Il n’est pas parvenu à lui avouer ses sentiments et c’est ce qui le rend si morne. Peut-être que votre histoire saurait l’inspirer ? demanda Léo Gogie, le regard insistant.
Perplexe, les yeux du Féca s’attardèrent un instant sur le craqueleur qui n’avait pas bougé depuis le début de leur discussion. Contre toute attente, cet être de pierre froid et rugueux avait un cœur tendre et meurtri. Touché par la mélancolie du craqueleur, le Féca se résigna, il posa son assiette de fritures puis commanda deux nouvelles bières pour Léo et lui, ainsi qu’une chope de boue pour Lithoboule. Il attrapa son kokulte, le posa sur la table et sortit quelques feuilles de salace pour le nourrir avant de s’assoir en face du craqueleur. Un bref regard fut porté en direction de ses camarades, trop occupés à festoyer pour remarquer l’absence de leur chef avant de porter son attention vers Léo Gogie et Lithoboule.
Le Féca prit une grande inspiration avant de commencer son récit :
- Sachez que ma rencontre avec mon épouse n’a rien d’extravagant ni d’exceptionnel. Pour tout vous dire, je n’étais qu’un simple aventurier en panoplie bouftou tout frais sorti d’Incarnam quand j’ai eu la chance de faire sa rencontre à la Taverne d’Astrub. Une Ecaflip, elle jouait aux Chopines du Hasard avec des habitués de la taverne. Ses gestes à la fois agiles et gracieux, ses éclats de rires cristallins, ses grand yeux verts espiègles et son pelage ivoire et soyeux, ont eu raison de mon cœur. Un vrai coup de foudre.
- Et comment l’avez-vous abordée ? interrogea Léo.
- Eh bien je ne l’ai pas fait ! dit-il en baissant les yeux. Je ne pouvais que l’admirer dans mon coin, poursuivit-il en fixant Lithoboule.
Celui-ci n’émit qu’un léger craquement en guise de réaction.
- Par quel miracle est-elle devenue votre moitié ? s’enquit Léo.
- Il m’a fallu une année avant d’oser faire le premier pas. J’essayais de la croiser au retour de chacune de mes aventures en passant mes soirées à la taverne, espérant tomber sur elle. Peut-être était-ce parce que j’étais devenu un habitué, ou peut-être était-ce simplement le temps, mais nous avions commencé à échanger des sourires et faire de nombreuses parties de Chopines du Hasard. Vous connaissez la réputation des Ecaflip, ce sont des parieurs invétérés !
Le jeune Féca fit une pause pour étancher sa soif, et remettre quelques feuilles de salace devant son kokulte. Il attrapa une friture pour n’en faire qu’une bouchée et jeta un œil à ses camarades. Ceux-ci étaient avachis l’un sur l’autre à ronfler si fort qu’on aurait pu se demander si les murs ne tremblaient pas. Il reprit son récit :
- Un soir, mes amis et moi étions revenu d’un voyage dans la dimension d’Ecaflipus. Il me tardait de la croiser à la taverne pour raconter nos exploits, d’autant que j’avais récupéré des dés du Chaloeil à la fin du combat. Plutôt que de continuer à faire des parties de Chopines du hasard, je comptais lui proposer de jouer aux dés pour changer. Je m’étais enfin décidé à lui avouer mes sentiments.
- Par l’intermédiaire d’un jeu ? s’étonna Léo.
- Oh oui ! Ne saviez-vous pas que les Ecaflip pouvaient aller jusqu’à risquer leur vie pour un simple pari ? J’avais également décidé de risquer notre amitié sur ces jets de dés. Ce soir-là, elle était éblouissante, toujours avec ses yeux pleins de malice, elle était ravie à l’entente de mon idée :
- Que parions-nous ce soir ? Je sens que la chance est avec moi ! s’exclama-t-elle, enjouée.
- Je te laisse choisir les premières mises puisqu’il s’agit de mes dés, répondais-je.
- Ta galanterie te perdra petit tofukaze ! Très bien ! Puisque c’est ainsi, le perdant paiera tous ce que le gagnant aura consommé ce soir !
- Bien évidemment, sa chance d’Ecaflip et son appétit de bwork eurent raison de ma bourse. Une fois rassasiés et la cave du tavernier vidée, je proposai une dernière partie :
- Que dis-tu d’une dernière partie, avec une mise insolite ? proposai-je, anxieux de sa réponse.
- Tu piques ma curiosité ! dit-elle joueuse. N’as-tu pas remarqué que tu n’as fait que perdre ce soir ? Que vais-je gagner alors ?
Un sourire espiègle se dessinait déjà sur son visage.
- Le gagnant aura droit de demander ce qu’il veut au perdant.
Les deux billes vertes de l’Ecaflip se sont mises à briller, enfin un pari digne de ce nom !
- Qu’attendons-nous alors ?! Lance-moi ces dés !!
Le Féca pria intérieurement le Dieu Ecaflip pour que la chance puisse lui sourire sur ce dernier jet de dés, puis lança les dés sur la table. A peine les eût-il lancés que la jeune Ecaflip s’écriait déjà :
- Tu as encore perdu !! C’est terrible je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi malchanceux que toi ! s’esclaffa-t-elle, hilare.
Le Féca était tellement abattu qu’il ne répondit pas. Il garda la tête baissée, déçu.
Le voyant ainsi, l’Ecaflip enchaina :
- Ne fais pas cette tête, tu ne sais même pas ce que je vais te demander.
- Mais j’avais besoin de gagner cette partie.
- Pourquoi besoin ?
- Parce que, répondit-il, timide, le feu aux joues.
- Mais quel enfant ! ria-t-elle, avant de poser sa patte sur la main du Féca. J’ai décidé ; ton gage sera de m’accompagner à Bonta regarder un match de Boufbowl, d’ailleurs, j’ai toujours voulu gouter à leur fameuse terrine, on fera d’une pierre deux coups. On ira ensuite à la Foire du Trool, faire un tour dans la Maison Fantôme, j’aimerai bien que Yova Etna lise sur mes lignes de la patte. Et on se baladera après dans les calanques d’Astrub, on pourra y tirer quelques fées d’artifice la nuit.
Le Féca leva la tête, pour tomber nez à museau avec l’Ecaflip qui s’était rapprochée dangereusement de lui, elle poursuivit, taquine et les joues rosies :
- Tu ne peux pas dire non n’est-ce pas ?
- Voilà donc comment débuta notre relation, dit le Féca, cramoisi au souvenir de ces jours innocents. J’espère que mon histoire vous aura au moins divertis. Je dois cependant vous quitter, la route est encore longue avant de la retrouver et je ne souhaite pas prendre plus de retard.
Léo Gogie eut à peine le temps de répondre et le craqueleur d’émettre un énième craquement, que le Féca se leva, fit un signe de tête en guise d’adieu puis héla ses camarades.
Les trois aventuriers partirent aussi vite qu’ils étaient arrivés.
La forte odeur d’alcool qui se dégageait de la bouche du conteur précédent s’estompait, à l’instar des conversations des stratèges de comptoirs sur la guerre entre Feudala et Akwadala. Un individu encapuchonné se leva et se faufila à l’arrière de la salle.
Sans un bruit, il sortit d’une poche usée ce qui semblait être morceaux de bois, de fil et de tissus bariolés. Ses gestes étaient précis, efficaces : rien n’était fait au hasard.
Une petite scénette se dressa rapidement dans un coin de la pièce, orientée de manière à ce que personne ne puisse voir cet étrange bricoleur.
Alors qu’un énième aventurier tentait de prendre parole, un raclement de gorge métallique fit se retourner les soiffards de ce côté de la pièce
Ils y découvrirent un théâtre de marionnettes représentant la cité Blanche : ciel d’azur, tours immaculées, drapeau bleu céleste. Chaque pièce du décor représentait Bonta avec justesse, quelques nuages tenus par des piquets flottant dans un cliquetis étouffé.
Face à elles venaient d’arriver deux autres marionnettes, et dans ce qui semblait être une âpre discussion, une ferme poignée de main fut conclue entre les deux partis. Un coffre plein à ras bord de mini-kamas rutilants fut échangé par ce couple de nobles marionnettes contre une palanquée de petits manteaux de velours, robe en soie et autres vêtements onéreux.
Alors que les marionnettes marchandes prenaient congé, le garçon fixant le sol essaya de s’éclipser discrètement, sans succès cependant, la marionnette blonde le rattrapant avec énergie et le traînant jusqu’aux accoutrements restés là. La marionnette au ventre rebondi secoua la tête, tout en y portant sa main, signe d’un désarroi complet.
Ainsi, la petite marionnette fut forcée d’enfiler chaque pourpoint, chaque gilet et chaque écharpe lui étant destiné dans ce qui était un supplice le plus total.
La marionnette brune, outrée, porta de nouveau sa main à sa bouche, mais cette fois ci pas d’émerveillement mais de la colère : elle tapa du poing et pris en filature ce goujat.
C’est là, caché entre un bel érable aux feuilles ocres et l’épais amas de buissons que se tenait la marionnette enveloppée dans sa cape. Elle se pencha sur un parterre de fleurs, et commença à fredonner.
La marionnette blonde l’ayant suivi jusqu’ici en fut déconcertée, tombant sur ses fesses. C’est donc de s’occuper de plantes que le jeune garçon trouvait plus important que de se laisser courtiser ! Les bras croisés, elle fulminait. Elle repartit tapant des pieds, pendant que la main verte s’occupait toujours tendrement de ses plantes.
Deuxième pot. Nouvelle graine.
Cette fois ci la marionnette versa à intervalles réguliers de l’eau sur sa plante. Les jours passant, cette dernière grandit un peu plus que la précédente, avant de flétrir de la même façon.
Troisième pot. Nouvelle graine.
Elle plaça le pot juste au rebord d’une fenêtre, de manière à ce qu’un rayon de lumière puisse inonder la plante de toute son énergie. La plante grandit de nouveau sous le pouvoir du Xélor, émerveillant les spectateurs, allant jusqu’à voir un bourgeon pointer timidement le bout de ses feuilles.
Mais alors qu’il commençait à éclore, la plante s’assécha de nouveau et perdit ses couleurs.
La petite marionnette brune semblait abandonner tout espoir. Puis elle se souvint du jeune garçon sous la statue de Beldarion, et commença à fredonner.
La main du Xélor se bloqua. Puis se tourna légèrement dans l’autre sens.
La plante repris des couleurs, se gorgea d’eau de nouveau.
Le bulbe fut à nouveau sur le point d’éclore quand le Xélor arrêta son geste.
Le temps reprit son cours normal.
Laissant une magnifique fleur rouge chatoyante s’ouvrir face aux spectateurs, alors que la marionnette sautait de joie devant sa réussite.
La marionnette encapuchonnée arriva en catimini, mais marqua un arrêt lorsqu’elle découvrit un intrus à cet endroit connu d’elle seule. Qui osait donc pénétrer dans son jardin secret ?
En deux grandes enjambées, elle fut dans le dos de l’autre marionnette, prête à en découdre.
Mais ce qui semblait être une agression n’était qu’une jeune personne qui partageait sa passion, s’occupant avec délicatesse de ses fleurs, et ayant même enrichi ce parterre de nouvelles plantes.
La marionnette brune se redressa, se retourna, et plongea alors son regard dans le celui du nouveau venu, avec une intensité telle que même les spectateurs pouvaient la ressentir.
Le rideau se ferma.
« Ils ouvrirent une petite boutique de fleuriste dans la cité blanche, furent heureux et eurent beaucoup d’enfants.
Malgré les différences, l’autre peut permettre de te trouver toi-même, Lithoboule, et je te souhaite d’y arriver. Si tu trouves ton bonheur intérieur, tu trouveras le bonheur à deux.
Et si ma mère n’avait pas découvert cette passion pour la flore en essayant de séduire mon père, je ne serais pas ici pour t’en parler aujourd’hui… »
Il marqua une pause, le temps d’avaler une dernière gorgée… Comme si la bière pouvait arranger son timbre métallique.
« Quant à ceux qui n’ont dépeint qu’un triste tableau de ce qu’est l’amour… Je suis navré. C’est l’amour qui fait avancer le monde, qui fait naître les générations futures. Peut-être n’avez-vous pas trouvé le vôtre, et je souhaite à tous d’y arriver autant qu’à Lithoboule. »
A cette heure avancée de la nuit, alors que les bâillements remplaçaient les mots dans les bouches de chacun, le Xélor rangea avec autant de calme et de précision qu’à l’installation son matériel, laissant la foule réduite réfléchir sur ces paroles.
Cela faisait maintenant plusieurs heures que j’observais le ballet incessant de camarades douziens racontant leurs histoires sentimentales à ce couple bien improbable d’un Osamamodas et son ami craqueleur. J’avais ainsi assisté à des démonstrations parfois aussi surprenantes qu’inattendues, comme cette Huppermage qui s’était envoyée une chope de boue au visage. N’importe quel Pandawa aurait d’ailleurs été scandalisé par ce sacrilège de gâcher de la boisson, quelle qu’elle soit pourvu que ce ne soit pas de l’eau, mais ça ne semblait pas être le cas de son amie, et je m’interrogeais sur ce qu’elle devait ressentir... La montagne de cailloux, quant à elle, visiblement bien en peine, semblait décidée à occuper le blanc en craquant régulièrement tels des soupirs à fendre l’âme. Emue par le sort qui attendait cette table si le craqueleur continuait à s’effondrer dessus, et un tantinet agacée par l’ambiance bien trop rose de ma taverne préférée en ce soir de Saint-Ballotin, je décidais d’aller à mon tour m’asseoir à la table des deux comparses.
- Alors les gars, chagrin d’amour à ce qu’il paraît ?
Sans leur laisser le temps de répondre, j’enchainai.
- Et bah mon grand…Lithoboule, c’est ça ? Tu permets que je t’appelle Litho ? Tu penses que tu n’as aucune chance avec ce beau craqueleur poli d’Otomaï ? Tu crois que votre histoire serait improbable ? Sache qu’improbable n’a jamais voulu dire impossible, et je suis bien placée pour le savoir.
L’osamodas me regarda alors, intrigué, tandis que son ami redressa la tête vers moi dans un concert de craquements caverneux, semblant dubitatif mais malgré tout encouragé par les discours de mon prédécesseur le Xélor à leur table.-
Il y a bien longtemps, lorsque je n’étais qu’une jeune Pandawa n’ayant pas encore saisi tout le potentiel de la liqueur de bambou, je partais à la chasse aux familiers. J’avais en effet prévu de lancer mon propre élevage afin de devenir plus riche qu’Enutrosor lui-même. Bonne ou mauvaise idée d’un lendemain de cuite, toujours est-il que je décidais de faire éclore un œuf de Bwak ramené des montagnes.
- Ah oui, l’élevage, les Bwaks, ça me parle comme expérience ! s’enthousiasma Léo.
- Chut ! On n’interrompt jamais une Pandawa qui raconte une histoire, sauf si c’est pour proposer de lui remplir sa chope ! Fis-je en lui tendant ma chope à moitié vide.
Léo se renfrogna et se tu pour écouter la suite de mon récit. Heureusement il me restait encore 5 chopes pleines à descendre, assez pour finir de raconter ma brève histoire.
- Bref, où en étais-je ?... Ah oui le bwak. Donc, Pandawa naïve et fière de mon idée, je décidais d’essayer d’apprivoiser ce fichu bwak seule, sans aide et dans un coin reculé de mon île. Mal m’en pris car j’avais alors surestimé ma force et mon équipement inadapté. Désespérée je voyais ma fin approcher et mes rêves de gloire, d’élevage et de richesse s’envoler plus vite qu’un kwak de vent.
A ce stade du récit, et au ton dramatique que j’y avais mis, Litho semblait prêt à s’effondrer comme un Cairn soufflé par une tempête dans les landes de Sidimote. Je repris.
- Mais c’est là qu’un jeune Sadida, alors en excursion touristique à Pandala, vint à ma rescousse. Il fit fuir le bwak avant que celui-ci m’achève. Je me retournais alors, furieuse, vers cet individu qui venait de détruire mon beau projet. Tout penaud et décontenancé devant la colère d’une Pandawa sobre, il me fit la promesse de m’aider à démarrer mon élevage.
Je vis à ce moment de mon récit une étincelle de ce qui semblait être de l’espoir naître dans les yeux de Léo, comme dans ceux de Litho.
- Il se passa alors plusieurs mois pendant lesquels j’appris à connaître cet individu que je surnommais « le gros poilu ». Il me soutint après mon premier divorce duquel je ne récupérais rien, et il devint même le bras droit de notre guilde. Un jour je pris conscience de mes sentiments plus qu’amicaux pour lui lors d’une bataille contre la cité ennemie qui failli mal tourner. J’en parlais ensuite à un ami Roublard proche qui me dit alors « T’as intérêt de lui dire ce que tu ressens. Imagine que tu tombes au combat demain et que tu ne lui aies jamais avoué alors qu’il t’aimait aussi ! Tout ce temps gâché ! Et puis si tu ne lui dis pas, c’est moi qui t’achève tfaçon ».
- Et alors, vous lui avez dit ?! s’exclama Léo pris dans le suspens de mon récit.
- Ben, évidemment ! Sinon je ne serais plus là pour vous en parler ! Il faut suivre un peu.
Agacée, je secouais la jambe pour en chasser un kralamour esseulé accroché dans mes poils et je poursuivis.
- Je profitais du prétexte de lui offrir ces bottes dont il m’avait tant parlé, confectionnées à partir d’un peu d’écorce d’Abraknyde Ancestral et que j’avais fait faire par un cordonnier renommé de Bonta, pour lui faire ma déclaration : « Ecoute, il faut que je te parle d’un truc… C’est pas facile à dire, c’est peut-être stupide, et j’imagine que c’est improbable… mais… Je crois que je t’aime »
Je marquai là une pause dans mon histoire, profitant de l’effet de ma narration sur les spectateurs, qui retenaient leur souffle. En effet, quelques aventuriers s’étaient attroupés autour de notre table pour écouter la suite du récit. Le tavernier lui-même frottait distraitement la même chope avec son torchon depuis le passage sur le bwak, et celle-ci était devenue plus brillante qu’un dofus ivoire à force d’être astiquée.
J’en profitai également pour faire signe à cette jeune Eniripsa les yeux embués par l’émotion, d’aller me chercher deux ou trois chopes de bières supplémentaires, ayant descendu les cinq autres plus vite que prévu, peut-être moi aussi un peu émue par la plongée dans ces souvenirs.
Litho avait cessé de craquer, absorbé par mon histoire.
-Vous voulez savoir ce qu’il m’a répondu, pas vrai ?
De concert, toute la tablée hocha la tête. Le tavernier aussi, oubliant qu’il faisait semblant de ne pas écouter.
- Eh bien je vous l’ai déjà dit. Au début de mon récit. Il m’a répondu « Improbable n’a jamais voulu dire impossible ».
Je me levais de table en récupérant au passage les chopes apportées par l’Eniripsa pour retourner les boire tranquillement à ma table d’origine. Je terminai en m’adressant spécifiquement au craqueleur.
- Et nous avons ensuite suivi la même route pendant près de 10 longues années. Tu vois Litho, c’est pas parce que ça te semble improbable que c’est impossible. Lance toi ! … Enfin, façon de parler, ne l’assomme pas avec un lancier de pierre ! Quoi que, on sait jamais, sur un malentendu… Bref, aime et vis ta plus belle aventure comme j’ai vécu la mienne avec ce gros poilu de Sadida. On n’a rien à perdre à essayer, et tout à perdre à passer à côté.
Lithoboule acquiesça en remuant la tête faisant ainsi le bruit d’un éboulis de gravillons chahuté par la course d’un Ouginak. Il semblait avoir retrouvé un peu d’espoir. Enfin, qui peut dire ce que le regard d’un craqueleur exprime vraiment ? Je lui adressai un dernier sourire de soutien et retournai boire à ma table.
Léo me retint par le bras pour me poser tout bas une dernière question que son ami ne pouvait pas entendre.
- Excusez-moi, vous avez dit être restés 10 ans ensemble, mais… qu’est-il arrivé à votre ami depuis?
- Je l’ai quitté pour un Cra plus jeune ! répondis-je en m’esclaffant. Mais ne le dites pas à votre ami qui a l’air plus sûr de lui maintenant!
Léo se rassit, un peu décontenancé, à côté de son ami le craqueleur qui avait légèrement retrouvé de sa superbe et je décidai de me consacrer à ce que je savais faire de mieux, descendre les chopes en demandant au tavernier de n’en laisser aucune vide.
Mes amis arrivèrent une dizaine de chopes plus tard, assez de temps pour que j’oublie cette fin de journée remplie d’anecdotes aussi guimauves que farfelues, et une belle Steamer accompagnée d’un gentil Feca s’assirent à ma table, suivis par un Ouginak, un Roublard, …
Le brouhaha présent dans la taverne cessa et chacun des visiteurs de la taverne se retourna vers cette étrange personne.Le professeur Gogie prit la parole :
- Vous vous y connaissez, vous, en amour sincère et passionné ? Questionna-t-il.
- Un peu mon neveu ! Dans ma jeunesse je l’ai connu, le vrai, le grand, le parfait amour. L’amour avec un grand A mille fois mieux que ce dont j’avais entendu parler.
Un silence régnait dans la taverne, tous regardaient la vieille dame, attendant que celle-ci daigne raconter sa mystérieuse histoire.
L’attente fut longue, plusieurs minutes passèrent avant que la iop ne reprenne la parole. Celle-ci semblait s’amuser de la situation.
- Bon j’ai compris, je vais vous raconter mon histoire, enfin notre histoire. Avant de commencer je vais me présenter, je suis Shasha, iopette aguerrie et brakmarienne depuis toujours. L’histoire que je vais vous conter s’est déroulée il y a bien longtemps, alors que je n’étais qu’une petite iopette ayant une soif insatiable d’aventure, de nouveaux horizons ainsi que de nouvelles rencontres. Certains diraient que j’étais incontrôlable, incompréhensible ou encore impulsive, je ne pense pas pouvoir les contredire sur cela…
Shasha esquissa un léger sourire avant de reprendre :
- J’étais comme une tornade, allant là où le vent me menait, de guilde en guilde, de donjons en donjons, de zaap en zaap à la recherche de nouvelles distractions. Cependant je m’étais amourachée d’une certaine cité, la meilleure sans aucun doute, Brakmar. J’ai vite compris qu’en grandissant chacun choisissait sa cité et pour moi ça a été une évidence, j’avais l’âme d’une brakmarienne. Comme tout bon brakmarien qui se respecte j’ai commencé à haïr les bontariens, ces êtres prétentieux qui pensent être parfait, quelle horreur.
Soudainement le Professeur Gogie reprit la parole :
- Pardonnez-moi de vous interrompre mais n’aviez-vous pas parler d’une histoire d’amour ? Je ne vois pas de passion ni de sincérité dans votre récit. Fit le professeur avec une mine perplexe.
Lithoboule quant à lui observait la vieille dame avec un regard intrigué, il semblait curieux de ce que pouvait énoncer la iopette. Discrètement il décala son petit tabouret pour se rapprocher un peu plus de celle-ci et prit doucement la parole.
- Cher ami, laissez-la donc continuer, son récit a attisé ma curiosité.
Shasha ricana.
- Je disais donc avant que l’on m’interrompe, la rivalité entre les deux cités Bonta et Brakmar était de bonne guerre. Je passais mes journées au village d’Amakna à les prendre en embuscade, je peux vous dire que beaucoup se souviennent de ma colère haha. Un jour alors que je me baladais pour la énième fois sur les côtes d’Otomaï j’aperçu tout près du zaap un groupe de personne, en train de faire des blagues bien plus que douteuses si vous voulez mon avis, et étonnamment, à l’unanimité, celles-ci provoquaient l’hilarité la plus totale. Assez perplexe et piquée par ma curiosité j’ai entamé une conversation avec ces jeunes gens. C’est ainsi que j’ai rejoint leur guilde dont je tairais le nom. Jour après jour j’ai appris à connaitre chacun de membre de celle-ci jusqu’à ce que je me retrouve à déblatérer sur un peu tout et n’importe quoi avec le meneur, un huppermage bon(t)arien. Étrangement, il ne m’écœurait pas autant que les autres partisans de Bonta, j’en venais même à oublier qu’il n’était pas brakmarien, pour vous dire ! Le temps passa et nous commençâmes à vaincre les monstres les plus redoutables du monde des Douzes ensemble. Bien qu’une distance nous tînt loin l’un de l’autre, nos cœurs, eux, ne cessaient de se rapprocher.
La vieille dame jeta un rapide regard à son auditoire, tous la regardaient avec la plus grande des attentions. « J’ai bien fait de m’arrêter boire une ptite binouze dans cette taverne » se dit-elle, plutôt contente d’avoir autant de spectateurs. Elle reprit doucement une gorgée du délicieux nectar que le tavernier lui avait apporté, sous le regard impatient de son public.
- Bon comme vous l’avez sans doute deviné cet huppermage est bel et bien le deuxième protagoniste de mon histoire. Ça n’a pas été de tout repos d’arriver à me faire à l’idée que moi, intrépide iopette brakmarienne tombe amoureuse d’un bontarien aussi doux que sage. La distance entre nos deux cités ne jouait pas en notre faveur, je dois vous l’avouer, et mon caractère non plus. Mais l’amour a fini par avoir raison de moi et j’ai décidé d’aller vivre à Bonta. Oui oui vous avez bien entendu, j’ai pris mes affaires et je suis partie pour la cité blanche ! L’adaptation fût mouvementée mais ça en valait la peine. Je suis toujours brakmarienne mais comme j’aime le dire. C’est comme ça que notre folle histoire d’amour, qui semblait impossible au début, perdure encore aujourd’hui. Si vous m’aviez dit un jour que je finirais ma vie avec un bontarien, je vous aurais traité de fou, et pourtant…L’amour a ses raisons que la raison ignore.
Le jeune craqueleur prit alors la parole, dans un craquement légendaire.
- Mais qu’en est-il d’aujourd’hui ? Êtes-vous toujours avec l’huppermage de votre récit ?
La iop afficha un sourire amusé avant de répondre :
- Bien sûr, mais nous n’habitons plus la cité blanche. Si vous voulez tout savoir très cher, nous avons opté pour un bel endroit appelé « village côtier », non loin du lieu où a débuté notre histoire.
- J’ai donc une chance de séduire mon doux craqueleur poli, bien que je ne puisse jamais égaler son étincèlement, d’après vous ? S’empressa de questionner Lithoboule.
- Il n’existe pas d’amour impossible s’il est sincère, parole de brakmarienne !
Sur cette dernière phrase la iopette finit son verre et se dirigea vers la sortie de la taverne en lançant une ultime tirade.
- N’ayez peur de rien, la vie vaut la peine d’être vécu sans regrets, on ne sait pas ce que le destin nous réserve !
La porte claqua, signe du départ de Shasha, laissant les quelques clients de cette rustique taverne ébahit. Le fond sonore habituel revint quelques minutes plus tard, et chacun retourna à ses occupations, seul Lithoboule demeurait dans ses pensées, c’est alors qu’il remarqua un papier sur lequel était inscrit :
Prenant mon instrument avec moi de peur qu’on me le vole, je me lève et passe le paravent qui sépare ma table du centre de la pièce.
« Aaah, Vhana, on a fini par t’intéresser ? »
Quelques clients qui me reconnaissent semblent heureux que je veuille en savoir plus. Et, effectivement, il y a un Craqueleur assis au beau milieu de la pièce, faisant souffrir la pauvre banquette en dessous de lui. En face, je remarque un Osamodas qui paraît étrangement petit à côté de son interlocuteur.
« Un peu. Puis il faut dire qu’avec tout votre brouhaha, c’est difficile d’accorder ma guitare avec les notes justes ! C’est soirée anecdotes amoureuses aujourd’hui ? »
« Non, c’est Lithoboule, l’est triste. Y ose pas déclarer sa flemme à un autre Craqueleur ! Alors on essaie d’lui donner un peu d’courage ! », me répond un pilier de comptoir entouré d’un nombre incalculable de chopines. Je le vois tout le temps ici, celui-là. Et jamais frais.
L’Osamodas assis sur la banquette reprend :
« Navré pour tout ce bruit ! Je suis Léo Gogie. Comme vient de le dire ce très cher client, mon ami Lithoboule est un peu mal en point. Pour vous la faire courte, il est tombé amoureux d’un Craqueleur Poli, et il n’ose pas lui avouer… Il se trouve trop différent, et a peur que cette différence le rende inintéressant aux yeux de celui qui a fait chavirer son petit cœur de pierre. Enfin, il est sensible, ce n’est pas ce que je voulais dire ! »
Ah, la peur d’être inintéressant parce qu’on est trop différent de l’autre, ça, ça me parle. Je me mets à sourire, puis m'assois à côté de « Lithoboule », posant ma guitare sur la table basse en face de nous. Le Craqueleur ne réagit absolument pas, mais Léo m’interpelle :
« Oh, vous souhaitez participer à notre petite discussion ? Je vous en prie. Mais tout d’abord, à qui avons-nous l’honneur ? »
Je n’ai même pas le temps de prendre la parole qu’un des habitués de la taverne (et de mes concerts) lui répond d’un air surpris.
« Mais ! Sérieusement, vous ne l’avez jamais vue ? C’est Vhana Lën ! Elle se produit partout en ce moment ! »
Un petit rire gêné m’échappe. Je ne suis jamais très à l’aise quand on vante ma musique comme ça. Je ne suis pas si connue… Disons simplement qu’en ce moment, j’ai le vent en poupe. Je prends la parole avant que d’autres compliments ne s'échappent de la bouche d’autres clients.
« Aha, enchantée. Je viens souvent ici. L’histoire de Lithoboule a évoqué quelque chose en moi… Alors, si vous le permettez, j’aimerais vous raconter un petit bout de la mienne. »
Léo me fait signe de poursuivre, il a l’air intéressé. Le Craqueleur, lui, le bouge pas d’un sourcil de pierre, et fixe inlassablement sa choppe de boue, sans y toucher.
« Quand j’étais petite, mon père me prêtait souvent sa guitare pour que je m’amuse avec. Je faisais vraiment n’importe quoi, mes petits bras passant à peine par-dessus la caisse ! Puis, avec le temps, ce n’importe quoi s’est transformé en notes, puis en accords, puis en morceaux. J’ai tout appris seule, faisant travailler mes oreilles. Je reproduisais ce que j’entendais, avec plus ou moins de fidélité ; jamais je n’avais lu de partition, et je me jurais d’ailleurs de ne jamais toucher à ça. Dans mon milieu, on disait que c’était bon pour les riches, ceux qui apprennent la musique en école, avec un professeur, et des méthodes archaïques et sévères. »
Pour l’instant, je ne semble pas captiver grand-monde, à part mon éternel groupie assis au comptoir… à côté d’un Crâ dont émane une étrange odeur de poisson.
« J’ai commencé à côtoyer le milieu de l’improvisation, de la musique « pour s’amuser », rien n’était sérieux. Ma bande et moi, on jouait avec ce qu’on avait pour s’évader le temps d’une soirée, rêvant d’une carrière à la Krâmstaïn et essayant de progresser par nous-mêmes. Puis un jour, je me suis rendu compte que ça faisait un moment que je n’avais rien appris de nouveau. »
Léo me coupe :
« Ah, la soif d’apprendre, je connais ça ! C’est difficile d’y résister. »
« Tout à fait ! Je vois qu’on se comprend. Alors j’en ai discuté avec mes amis. Et c’est là qu’on m’a conseillé l’impensable : prendre des cours dans un lieu spécialisé, une école de musique. »
Ma groupie de comptoir laisse échapper un « Haaan ! » de stupeur, qui me fait doucement rire. Je reprends.
« J’ai refusé pendant des mois, résignée. Me retrouver avec des jeunes artistos de métropole, jamais de la vie ! Puis en fait… si. J’ai fini par craquer, je me sentais mal de ne plus progresser. Alors j’ai sauté le pas : je me suis inscrite dans une grande et prestigieuse école de musique, à Bonta. Beaucoup des musiciens que vous connaissez aujourd’hui ont été formés là-bas ! »
Quelques chuchotements, pas très discrets car imbibés d’alcool, s’élèvent, et je crois entendre des noms de musiciens connus accompagnés de « Mais si, tu sais, lui là ! Il a été formé à Bonta ! ».
« Mais les clichés rattrapent vite la réalité. Je me suis retrouvée au milieu d’une classe d’adolescents gâtés dont les cours étaient probablement payés par papa-maman, et je faisais malheureusement partie des pires élèves. Mes camarades me regardaient en coin, je me souviens, comme si j’étais le vilain petit Couin-couin Noir. Regardez-la, elle ne sait pas lire une partition. Regardez-la, elle ne connaît pas nos grands classiques musicaux. Regardez-la, elle joue d’un instrument de la rue. Je ne laissais rien paraître, mais toutes ces remarques me faisaient atrocement mal, car j’aimais profondément la musique et je ne demandais qu’à apprendre toujours plus. Mais je devais me rendre à l’évidence : je n’appartenais pas à leur monde. J’étais trop différente. »
Je vois Léo plisser les yeux et hocher la tête en face de moi, intrigué par mon récit. Lithoboule, lui, a laissé échapper quelques craquements à peine audibles depuis le début de mon récit. Mais, nous voilà bientôt à la partie qui devrait l’intéresser. Quelques aventuriers sont revenus s'agglutiner autour de nous. Je poursuis mon récit, heureuse d’avoir retrouvé un peu de public.
« J’ai continué à aller en cours, mais je n’étais plus aussi motivée qu’avant. Puis, au fil du temps, mes yeux se posaient de plus en plus souvent sur une de mes camarades. C’était une jeune disciple de Féca. Une jolie rousse aux cheveux courts. Pendant nos leçons, elle participait toujours, donnant à chaque fois la bonne réponse à la question de notre professeur de solfège. Quand il nous demandait de chanter certains exercices, sa voix perçait parmi toutes les autres ; elle était d’une clarté… Elle savait tout lire, tout chanter, tout jouer, on aurait pu dire qu’elle n’avait plus rien à apprendre. Moi, à côté… Je me sentais terriblement nulle.
J’étais admirative… Puis, petit à petit, à force de la voir, de l’entendre, de la côtoyer, l’admiration a laissé place à autre chose de bien plus profond. »
Des “Ohhh”, “Awww” et autres adorables réactions s’évadent. Je ne peux pas m’empêcher de sourire. Je jette un coup d'œil furtif à Lithoboule : toujours aucun mouvement, mais un craquement plus audible ! C’est peut-être bon signe, allons savoir.
« Je suis tombée amoureuse d’elle, et je n’en parlais à personne. Parce que, quand je me comparais à elle, je voyais une musicienne ratée qui n’irait jamais nulle part, qui avait un niveau plus bas que terre et qui ne méritait même pas son attention. Et malgré tous ces défauts, elle était la seule qui me saluait le matin quand j’arrivais dans le bâtiment. Elle était la seule qui ne m’avait jamais fait de remarque péjorative. Mais, comme tous mes camarades, donc ceux qui me dénigraient, étaient ses proches amis, je me disais que c’était forcément son cas également, qu’elle le faisait certainement quand je n’étais pas là...
Vois-tu, Lithoboule, c’est là que je me reconnais un peu dans ton histoire. Tu penses que ton bien-aimé est trop “poli” pour toi, trop beau, trop bien, et que toi, parce que tu as quelques angles en plus, tu aurais moins de valeur. Je ne peux que comprendre ce sentiment. Mais laisse-moi te raconter la fin de cette histoire. »
Léo sourit, le fait que son ami soit compris semble lui faire plaisir. Je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin.
« J’ai réfréné mes sentiments pendant deux ans. Tu te rends compte ? Pendant deux ans, je me disais : “Une gosse de riche ultra talentueuse ne peut pas s’intéresser à moi, qu’est-ce qu’elle me trouverait”, sans même savoir ce qu’il en était vraiment. Je ne l’approchais quasiment jamais. On se contentait de se saluer, depuis deux ans… Les examens de fin de cursus sont finalement arrivés. C’était en été. Après les avoir passés, on ne devait plus remettre les pieds dans cette école, chacun allait suivre sa propre voie, composer sa propre musique et, pourquoi pas, construire sa petite carrière. Alors, ce jour-là, le dernier où j’allais voir cette jolie Féca, j’ai pris mon courage à deux mains. Après tout, si ma déclaration ratait, je n’aurais plus jamais revu cette jeune fille. A la fin de notre épreuve de solfège, que j’ai ratée, je l’ai rattrapée dans la cour du bâtiment, et, rouge comme une tomate, je lui ai dit tout ce que j’avais sur le cœur. Je me souviens que je tremblais comme une feuille ! »
Mon petit public semble attendre la suite avec impatience ! Quelques regards intéressés me somment de continuer. Le suspens est insoutenable !
Je farfouille dans une de mes poches, et en sort une petite affichette que je déplie soigneusement.
« J’ai eu le plus radieux des sourires en guise de réponse, suivi d’un timide baiser au coin des lèvres. A ce moment précis, c’est comme si une énorme pierre avait quitté mon corps, le délivrant de tout son poids. Enfin, sans offense, j’aime bien les pierres hein, Lithoboule ! »
L’affichette est entièrement dépliée au centre de la table basse. Je ne la connais que trop bien. “Vhana Lën & Marie Akalas, le couple pluri-stylistique qui revisite nos grands classiques”, suivi des différents lieux et dates de nos prochains concerts. Les sourires des clients autour de nous me font chaud au cœur.
« Grâce à l’aide de Marie, maintenant je sais parfaitement lire une partition et j’ai énormément appris sur la théorie musicale. Tu n’imagines pas à quel point ça m’aide, même pour composer et improviser ! Je suis bien loin, aujourd’hui, de penser que les partitions sont réservées aux riches des grandes écoles. Et avec mon aide, Marie a justement appris à se détacher un peu de son solfège, à improviser et à aimer des styles de musiques qu’elle ne connaissait même pas avant notre histoire.
Ce que j’essaye de te dire, mon petit Lithoboule, c’est que tu ne sais jamais ce que peut penser une personne de toi avant de t’ouvrir à elle. Tu peux être persuadé d’être la créature la plus nulle du monde, alors que dans les yeux de celle que tu admires, tu es la plus jolie chose qu’elle ait vue. Aussi, garde à l’esprit que, quand on aime, on apporte à l’autre. Ton Craqueleur Poli adoré t’apportera sans doute douceur et beauté dans ce monde de brutes, de par son apparence si soignée, mais tes angles à toi peuvent lui montrer une autre perspective de la vie, une manière différente de voir les choses. Mon histoire est un peu à double morale, mais j’espère qu’elle t’aura donné un peu de courage. En tout cas, moi, je suis persuadée que tu peux le faire, fonce ! »
Le Craqueleur ne réagit pas tellement, il… craque, je dirais même qu’il cracotte, à ce niveau-là. Je reprends ma guitare et salue Léo et son ami, laissant l’affichette de mes prochains concerts sur la table. On ne sait jamais, toute publicité est bonne à prendre ! Je souhaite une bonne nuit à tout le monde ; il est temps pour moi d’aller retrouver ma Marie.
- limaginaire, à la bourre comme toujours ! ~
CRAAACK !
… et la poussière retomba. Comme sur un champ de bataille, au moment où chacun regarde dans son propre camp pour évaluer avec consternation l’étendue des dégâts. Sauf qu’ici, dans la taverne d’Amakna, ce sont les habitués, les soiffards et fêtards qui écarquillent les yeux à la recherche de l’origine de ce vacarme ayant secoué presque tout l’établissement.
Ce n’était pas le sol qui s’était ouvert sous leurs pieds, ni l’éclosion d’un œuf de DragOeuf sous leur tabouret, mais bien Lithoboule qui était à l’origine de cette secousse. Il s’était levé, et sa tête avait cogné le plafond par mégarde, mettant à l’épreuve la charpente des lieux.
Certes, la forte teneur en alcool contenue dans le sang des écumeurs de choppes aura probablement joué à amplifier ce choc inattendu, mais le tremblement avait bien de quoi réveiller le plus assommé des ivrognes.
La bataille, elle, avait cependant bien eu lieu au fond du coeur tremblant et hésitant de l’être rocailleux, et si les différentes histoires, touchantes, romantiques, dramatiques, chevaleresque ou incongrues n’avaient pas semblé l’atteindre, il avait laissé tourner son imagination dans sa caboche de granit, se visualisant à la place de ces marionnettes sur cet habile théâtre improvisé, trouvant l’amour sur une commune passion, ou encore sur un lancé de dé magistral, qui d’une façon ou d’une autre, ferait rouler à lui le coeur de la source de ses sentiments.
Son estomac, pourtant bien accroché, s’était profondément noué alors qu’il s’imaginait perdre à jamais l’amour par son manque de courage et d’audace… mais ce qui avait changé son regard, ce qui y avait sculpté de la détermination, c’était cette histoire toute en musique qui avait su faire vibrer le cristal de son coeur et dans laquelle il s’était complètement reconnu.
Il s’était alors décidé, peut-être un petit peu trop promptement vu son gabarit, secouant la taverne dans sa vindicte amoureuse nouvelle.
Il croisa le regard de son ami, Léo Gogie, puis balaya la salle de son regard, remerciant les différents conteurs d’un craquement reconnaissant. Il se mit alors en route pour quitter la taverne, donnant le sentiment qu’il serait prêt à traverser la mer Cantil s’il le fallait pour trouver l’amour et oser avouer ses sentiments à son craqueleur poli.
Alors que les pas de Lithoboule se faisaient encore lourdement entendre, Léo Gogie écarquilla les yeux, débordant de joie et de soulagement alors qu’il s’applique à remercier individuellement chaque personne ayant pris la peine de conter une histoire inspirante et originale à son ami. Connaissant ce dernier comme personne, il s’était assuré de laisser à la serveuse, de confiance, quatre bourses, dont une d’un rose chatoyant, destinées aux personnes dont l’histoire avait su pousser Lithoboule à oser suivre ses sentiments.
Il se lança à la poursuite de son ami et le calme se réinstalla dans la taverne. Plus tard, vous entendrez peut-être, au détour d’une conversation de voyageurs, la rumeur d’un étrange couple de craqueleurs accompagnant un peu partout dans le Monde des Douze un disciple d’Osamodas.